Je cours jusqu'au sous-sol parce que j'ai entendu un bruit suspect dans le salon et je sais que ma mère prépare ses cheveux dans la salle de bain, à l'étage, et que mes deux soeurs sont encore complètement endormies. C'est bizarre, en fait: il semble qu'elles n'ont pas bougé du tout quand j'ai voulu les réveiller tout à l'heure, à cause du bruit suspect que j'ai entendu, en provenance du salon. J'ai ouvert la porte de la chambre de Monique et j'ai rampé par terre, sur les longs poils du tapis orange-brûlée pour ensuite me hisser contre son matelas. Accroché à son couvre-lit, j'ai tenté d'être immobile et de chuchoter "Monique!" de façon compréhensible, mais elle n'a pas réagi. Dans la chambre de Claudette, c'était la même chose. Sauf qu'avec elle, j'ai voulu m'assurer qu'elle était bien endormie, alors j'ai brassé d'abord doucement, ensuite de plus en plus violemment son matelas: elle dormait bien dur. Alors je me suis accoté le nez sur le coin du lit, à genoux sur le même tapis orange-brûlée que ma mère avait probablement eu à bas prix grâce à une de ses moues séductrices habituelles pour recouvrir tout le plancher de l'étage. J'ai pu constater que la poitrine de Claudette ne bougeait presque pas - qu'en fait, les seuls mouvements que j'arrivais à distinguer, dans l'amas de couvertures sur son corps, pouvaient très bien être mon propre tangage. J'ai tendance, à l'époque, à pallier à tout surplus d'énergie en me balançant la tête imperceptiblement: l'illusion de mouvement donne le tournis et le docteur est d'accord pour dire que ça calme mon hyperactivité.
Le dernier album des Beatles jouait en sourdine dans la chambre de Claudette quand j'ai entendu le bruit suspect en provenance du salon. La seule chose que notre père nous a laissé, avant de s'en aller, c'est sa collection de 33 tours des Beatles qu'on s'échange et qu'on écoute tous de façon compulsive, boulimique, en imitant secrètement papa qui disait qu'il ne s'est jamais fait d'aussi bonne musique.
J'ai pensé alerter maman, mais j'ai préféré partir vers les escaliers en prenant bien soin de compter jusqu'à vingt-cinq - un autre truc que le docteur Legault m'a donné pour ne pas m'évanouir, quand je suis trop nerveux. J'ai choisi le chiffre vingt-cinq parce que c'est exactement l'âge que maman avait quand elle a rencontré papa.
Le bruit suspect dans le salon se transforme actuellement en une fureur sonore qui se déplace rapidement et qui bouscule à peu près tout sur son passage: la lampe de lave que mon oncle Armand a offert à Monique pour sa fête, les bibelots de chevaux sur la desserte derrière le divan, les cadres de nos vacances à Old Orchard. Je vois les ondes de son comme des vagues se brisant sur les meubles fragiles du corridor: le bruit devient insupportable. Je me réfugie dans le sous-sol, entre l'équipement de camping et les boîtes de décorations de Noël sous les marches, tandis que la fureur monte à l'étage et invite promptement ma mère et mes soeurs à se joindre au vacarme.
Tout le monde crie, à présent.
Puis, le seul bruit que j'entends, c'est la voix de Paul qui dit, en boucle: Remember to let her under your skin, then you'll begin, to make it better, better, better, better, better, better, WOOOOW!... Remember to let her under your skin, then you'll begin, to make it better, better, better, better, better, better, WOOOOW!... Remember to let her under your skin, then you'll begin, to make it better, better, better, better, better, better, WOOOOW!... Remember to let her under your skin, then you'll begin, to make it better, better, better, better, better, better, WOOOOW!...
1 commentaire:
And then, what the eff happened?
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