22.9.10

Notes pouvant contenir des traces d'inter et de méta quelque chose

Il y une histoire que je veux écrire depuis un certain temps, à propos d'un gars qui est embauché par une grande firme de communication pour inventer des titres de domaines - vous savez, ce qui est habituellement entre "www." et ".com". La firme ferait appel à ses talents d'anticipation: il devrait prévoir ce qui pourrait devenir, un jour, un site Internet, afin que son employeur détienne les droits du titre de domaine, avant même que le site voit le jour. J'y pense régulièrement et je traîne ce récit comme une valise, dans laquelle je classe et reclasse plumes, porte-documents et mémos du bureau. Une constante réorganisation due principalement au fait qu'à part cette prémisse bien satisfaisante, je ne sais pas où aller dans le récit.

D'ailleurs, une peur apparaît quand une histoire me suit trop longtemps avant que je puisse la poser sur papier ou sur un ".doc". Elle me hante. Je prends le métro, le matin, et je croise un bonhomme ressemblant au chanteur de Cake, plutôt looké. Il porte des jeans dont la taille est un peu trop basse pour la chemise propre qui y est insérée. Je l'imagine alors travaillant dans cette même firme de communication, employé à créer une cinquantaine de nouveaux domaines par heure: "www.incroyablemaisvrai.com", "www.nomsdebandsmétal.com", "www.passionéquestre.com", "www.fautedefrappe.com", etc. Je le vois se tarauder l'esprit dans un petit cube de panneaux feutrés, épuiser sa bosse créative par coups de centaines d'entreprises qui n'existeraient peut-être jamais ailleurs que dans sa tête.

Il entre dans le métro en même temps que moi. Le train à Henri-Bourassa arrive déjà plein de Lavallois à 8h10, alors le gars et moi nous plaçons directement vis-à-vis de la fermeture des portes. Quand elles se ferment, le fil de ses écouteurs reste pris entre les bandes de caoutchouc, mais il semble trop absorbé par sa musique pour s'en apercevoir - vous savez quand le métro est à ce point bondé qu'il vaut mieux tenter de rester immobile pour la durée du trajet, quitte à relire trois fois la même page d'un livre plutôt que d'essayer de tourner la page sans accrocher une fesse, un coude ou une narine d'un usager? À la station Sherbrooke, on sort tous les deux pour laisser sortir une quantité impressionnante de passagers. (Qui sont tous ces gens qui débarquent, tous les jours, au métro Sherbrooke? Où travaillent-ils?)

À travers le flot de personnes, j'aperçois le bonhomme qui ressemble au chanteur de Cake. Il n'est pas tellement grunge (qui donc a bien pu dire que Cake était un band grunge? j'ai beau chercher, la mémoire me fait défaut), mais on voit qu'il essaie, avec sa barbe clairsemée et les cicatrices d'acné (that's so grunge). Un instant, il lève les yeux de son bidule cellulaire et me regarde en chantant:

Well, a lot of good cars are Japanese.

Yeah, but when we're driving far,

I need my baby,
I need my baby next to me.

On rentre dans le wagon juste avant que les portes se referment. Aussitôt, je le vois noter sur un calepin une suite d'adresses Internet: ""www.somberthoughtsofburningplanets.com", "www.perhapsperhapsperhaps.com", "www.neverthere.com" et "www.sheepgotoheavengoatsgotohell.com". C'est du moins ce que je devine dans les pattes de mouches qu'il dessine.

Je me dis qu'une telle histoire - celle d'un individu chargé de créer des noms de quelque chose, dans le but d'en vendre les droits par la suite - pourrait être écrite dans bien des contextes. Je me mets à réécrire mon idée de base: une femme crée sa propre entreprise qui offre de nommer les bébés de gens à court d'idées (Dénominatrix, inc.) à partir d'une enquête poussée sur les parents et le milieu familial de l'enfant (genre "Hmm, on peut tout de suite oublier les Marie-quelque-chose et tout ce qui a plus que trois syllabes" "De pou' quossé faille que tu dis ça?" "C'est ça." ou encore "Je vous suggère quelque chose comme Jessica, mais avec un a accent grave, pour que ça se rapproche toujours plus de Jessiquet et que ça reste loin de Jessicot, me suivez-vous?" "Jessiquet... Jessi... Jessiquet. Je sais pas, j'ai connu une Jennifer qui sentait toujours la cire d'oreilles.").

J'invente parfois aussi une jeune hipster embauchée pour créer des noms de bands indie fictifs à intégrer dans le catalogue d'une compagnie de disques. Si une quantité de clients se renseignent au sujet d'un band fictif, la compagnie trouvera alors des musiciens intéressés à former ledit band. Je pense à Rod Roddy & the Come-On-Downs, Suck My Success ou Meta Meta Metal. Je la vois maintenant assise dans le métro, en train de se moquer de mon ami dont le fil d'écouteurs est resté pris dans les portes du wagon. Il la regarde et lui fait une grimace, comme s'il était un bébé dont le cordon ombilical serait coincé entre son épaule et une paroi vaginale.

1 commentaire:

Steed Colliss a dit...

Cela me fait penser à la nouvelle "The Great Automatic Grammatizator" de Roald Dahl...