
Je reçois ce matin une infolettre d'Amazon m'annonçant l'arrivée sur les tablettes virtuelles du roman de la Montréalaise Johanna Skibsrud, The Sentimentalists, vainqueur du prix Giller de cette année. Il se trouve que j'ai eu à traduire, pour un exercice, une critique de ce livre. Comme tel, celui-ci me paraît plus ou moins intéressant - une histoire de famille et d'identité, de souvenirs enfouis, etc. -, mais c'est la polémique entourant sa distribution qui m'intéresse particulièrement. C'est que j'ai dû faire un peu de recherche et j'ai découvert cette entrée de blog.
En gros, l'éditeur de Skibsrud, l'entreprise néo-écossaise Gaspereau Press, est petit et indépendant. Il applique donc des principes conséquents: petits tirages, accent mis sur l'esthétique, l'emballage, l'aspect "artisanal" - à défaut d'un meilleur terme qui ne ferait pas penser indirectement au Salon des Métiers d'art - du livre. Il en résulte des oeuvres très belles, faites à la main, dont la distribution est certes plus limitée. Rob McLennan, l'auteur du blog qui m'a inspiré ce post, parle de la démarche éditoriale de Gaspereau comme étant une sorte de pied-de-nez à l'institution "big business" de la littérature canadienne et particulièrement à une pratique apparemment récurrente dans le domaine consistant à imprimer en grandes quantités des exemplaires d'un livre pour répondre à la demande plus ou moins réaliste des gros vendeurs (p. ex. Amazon).
Constatant qu'une telle pratique a plus souvent qu'autrement la fâcheuse conséquence d'envoyer des milliers de copies de livres au pilon, et n'ayant pas nécessairement les reins financiers assez solides pour assumer d'aussi grosses pertes, plusieurs éditeurs indépendants comme Gaspereau choisissent d'offrir un produit qui fait oeuvre en soi. On le voit régulièrement chez nous avec des éditeurs plus ou moins marginaux: des albums jeunesses "pour enfants savants" de la collection Bourgeon du Marchand de feuilles aux superbes publications de Ta Mère dont le matériel promotionnel vient en cannes de conserve; en passant par Alto, maison de Québec qui n'a pas fini de nous épater, ayant choisi notamment de publier une première édition limitée de la traduction de L'Indésirable de Sarah Waters, avec couverture rigide et tranche "déchirée".
Le problème, s'il en est un, c'est que le roman de Skibsrud vient de remporter le Giller, et voilà que le tirage "alternatif" de quelques milles exemplaires du livre a été épuisé dans le temps de le dire. Ce qui n'est pas sans susciter l'indignation de la big business qui s'avoue éberluée par le manque de vision des gens de Gaspereau. Ils déplorent le fait qu'une telle politique éditoriale - dans ce cas très exceptionnel, faut-il le souligner - nuirait surtout à l'auteure. Celle-ci ne verrait donc pas les besoins de la portion impatiente/enfant-roi de son lectorat assouvis instantanément.
Sur le blog de McLennan, quelqu'un dans les commentaires revendique, à l'instar du mouvement Slow Food, la création de "Slow Books". Si certains bornés seraient tentés de crier ici au fétichisme, je trouve pour ma part l'idée bonne.
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