31.8.07

Niaiserie



Il y a quelques mois, après avoir lu The Great American Novel de Philip Roth, j'ai eu l'idée d'adapter le roman en version québécoise. Le roman de Roth raconte l'existence d'une troisième ligue de baseball dans laquelle évoluaient des équipes toutes plus excentriques les unes que les autres -- lanceurs nains, joueurs manchots, etc. -- et qui étaient, dans les années 30 ou 40, en proie à une infiltration communiste. Le roman se sert du baseball pour illustrer la paranoia à l'aube du maccarthysme. Ben moi, j'ai pensé semi-sérieusement, qu'il serait pas pire d'exploiter la formule pour le hockey, ici et une certaine infiltration souverainiste. J'ai pas vraiment poussé plus loin jusqu'à temps que je me retrouve avec beaucoup de temps devant un ordi au jardin. Voici ce que j'ai pu tracer entre deux clients; un morceau tout court de quelque chose qui ne grandira pas ben ben plus, mais qui me rend quand même content:

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Au seuil de la porte du vestiaire, du donjon, du dojo, de la cage à couilles, la shop à pucks, la «taverne» qu'ils l'appelaient; accoté sur ma moppe comme Dryden sur son bâton; moi, Claude Gingras, gardien/concierge officiel de l'Aréna Léonard-Grondin de Granby, rondellophile sexagénaire, père de trois, mari dévoué depuis God knows when; j'ai été témoin du meurtre d'une légende nationale. J'ai vu, dans la pièce sombre encore chaude et humide de sueur, d'alcool et de testostérone, Sir Ewan Cockroft, chairman executive de la Royal Hockey League, enculer au nom de la Reine toute la nation québécoise. La poutine, la gadoue, les oreilles de crisse, Saint-Étienne-de-Bolton, la Saint-Jean-Baptiste, les Bye-Bye, «calvaire», «tabarnak», «ostie-d'ciboire-de-crisse», le Cirque du Soleil, Céline, les Simard, la plage d'Old Orchard, Télé-Québec, le roman du terroir, la famille Darèche, Hydro-Québec, Jack Kérouac (!), l'obscurantisme, René Lévesque, Passe-Partout, l'Expo, les radio-glacières, les Expos, la chienne à Jacques, la vache à Mailhot, les festivals country, les épluchettes de blé d'Inde, matantes et mononcles, Charivari, la tarte au poil, le fleurdelisé, les Suzanne en chicane, la coupe Longueuil, les Cyniques, Olivier Guimond, Ding et Dong, Bombardier, les Canadiens de Montréal, le Rocket, Jean Béliveau; toute la fierté québécoise s'est faite empaler à la même place, en même temps que le jeune ailier gauche des Maroons de Waterloo, Christian «Ti-criss» Riendeau, ce soir de janvier 1984. En un souffle, monseigneur Cockroft a défroqué, baissé ses boxers, et dardé l'innocence de Riendeau, penché et repentant devant lui. «Humpf! High Sticking... how do you like this high stick, Nothingwater?» Cockroft s'est enfoncé dans Ti-crisse, comme une tige de bois dans un souvlaki, en jetant un coup d'oeil en ma direction: «You jerkin' off yet, Gin-grass?» Et Riendeau de cracher tout son sang sur le plancher de rubber de la chambre des joueurs. pendant que son Grand Patron le pistonne par derrière, sous les regards du Gilles de service; la bibitte de six pieds quatre qui l'a assommé plus tôt, pendant la partie.




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Et moi. Moi aussi, je regarde, impuissant, dégoutté et crissement corrompu. Ça va me hanter jusqu'à la fin de mes jours. Pourquoi, Gingras, pourquoi t'as pas dit un mot? Pourquoi avoir attendu si longtemps? La honte, le sentiment de culpabilité sont les pires plaies de l'humanité. À la place, au moment même, et durant les années qui ont suivi, j'ai rongé mon manche à balai comme un ostie de pissou.




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Ti-crisse Riendeau, l'espoir de la nouvelle génération, trouvé mort en plein centre de la glace à l'Aréna Léonard-Grondin. L'ailier gauche ambidextre à palette drète, la coqueluche des petites filles, le gars de Rosemère, fils de Carol Riendeau, propriétaire de Riendeau Ford; battu à mort avec un bâton de gardien de but droitier, qu'on a laissé planté entre ses fesses immaculées comme un drapeau sur la lune.

5 commentaires:

Anonyme a dit...

!!!!

Anonyme a dit...

Après "Jack Kerouac", au lieu d'un point d'exclamation, j'aurais mis "(sic)"... :)

William a dit...

Ouais, j'y avais pensé aussi au «sic» mais j'aime bien le point d'exclamation, ça laisse une petite ambiguïté... content que vous ayez lu (et apprécié?), mesdemoiselles.

Alexie M a dit...

Hahaha

J'aime tes énumérations.

Un jour, je saurai peut-être c'est quoi une tarte au poil.

William a dit...

J'file pas mal énumérations ces temps-ci, oui. C'est un bel exercice à la fois d'imagination et de rythme. Et ça étoffe bien une narration, ça la rend tout à coup pas mal plus dense, j'aime ça.

Pour ce qui est de la tarte au poil, c'est beaucoup plus imagé que tu le crois. J't'expliquerai. Mais j'peux te dire ceci, il n'existe pas de tarte au poil complète, que des pointes. Et tu verras pas la recette sur À la DiStasio...