25.3.08

Le cassé


On est tout le monde égal devant la mort.
("Le cassé", Jacques Renaud)
Le pire, c’est qu’avant le match, j’avais vraiment mal au poignet droit. Le soigneur avait ri de moi, il souriait narquoisement en disant que je répétais trop souvent les mêmes mouvements. Pourtant, la droite, c’est mon bloqueur, pas grand mouvement là. Pat savait que j’avais mal au poignet, mais il m’a fait joué quand même. Ostie que c’est un bon père pareil. Il transporte tous ses gars dans son cœur, comme un papa. Il se bat avec nous, derrière le banc, ou dans les estrades, ou dans le stationnement de l’aréna. En plus des fois où il failli aller en prison pour son équipe, ou son honneur, ou les deux. Ça lui a déjà coûté vraiment cher, en plus. J’avais mal au poignet, je suis pas sûr que j’aurais pu arrêter grand chose en temps normal. Mais Pat a jugé qu’à soir, c’était ma chance. En playoffs, tu joues même si t’es blessé.

Pendant le match, le monde dans les estrades me criaient des niaiseries, me traitaient de singe, de babouin, de pourri, de fils-à-papa. Moi, qu’ils me traitent de n’importe quoi, je trouve ça plate. Mais qu’ils me traitent de fils-à-papa, je trouve ça un peu niaiseux. C’est comme dire à quelqu’un qu’il est « quelqu’un ». Dans le sens de « Hey, t’es quelqu’un, toi! » Je comprends pas le rapport. À la limite, dis-moi que je suis pas du monde, que je vaux pas de la marde. Mais, me dire que je suis le fils de mon père, c’est comme évident. Moi, je traite personne de « quelqu’un », ni de « personne ». Je les traite de caves, d’osties de jaunes, de plottes, mais jamais de choses qu’ils sont pour vrai. Ça fait que quand la foule me traitait de fils-à-papa, samedi soir, je trouvais ça un peu con. En plus que mon papa, il n’avait rien à voir là-dedans. Et puis, on est tous ses fils, à papa. Qu’ils disent ça, je m’en foutais pas mal. Après cinq rondelles que je n’ai juste pas vu passer derrière moi, je commençais à souffler plus croche. Mon poignet élançait. La foule disait plus souvent « pourri » que « fils-à-papa ».

Ç’a commencé à devenir violent quand Darren a rentré dans l’ostie de jaune numéro 24 de l’autre bord. Il l’a ramassé de billet dans le centre de la patinoire. Le casque du 24 a revolé dans les airs. Lui, il est resté à terre un bout de temps, mais il a continué à jouer après. Ils ont envoyé leur grosse bibitte numéro 45 faire le ménage. Mais Pat a répondu avec Vaillancourt pis Tchépitte. Ça s’est passé devant moi, je criais « Envouaille, Tchépitte, pètes-y les dents! » Pat regardait derrière le banc, les bras croisés en faisant semblant de s’en crisser. Je le sais qu’il est fier de ses gars quand ils se défendent. C’est pour ça que je criais. Tchépitte s’est fait gelé solide. Il n’a pas réussi à en placer une. Vaillancourt avec. Le 45 est allé dans le vestiaire parce qu’il restait cinquante secondes à la période. Après, ça se plaquait pire que dans Slap Shot. Les bruits de plastique contre plastique, contre glace, contre bande en fibre de verre, suivis des encouragements ou des huées de la foule, ça me donnait l’impression d’être au milieu d’une explosion atomique. Ça se revolait dessus, pis ça rebondissait sur un autre, qui se vengeait sur un autre. D’où je me tenais, tu ne pouvais pas détourner le regard sans voir une nouvelle mise en échec. Taschereau est rentré dans le 12 sur le coin de mon but, le 12 s’est reviré pour sacrer un coup de coude à Mongeau qui passait par là, Mongeau a culbuté par en arrière en s’accrochant à Taschereau qui est tombé avec. En se relevant, les deux ont chargé le petit 36 dans la bande, ç’a fâché le 14 qui a sauté du banc en oubliant son bâton. La fin de la période a sonné avant qu’il n’arrive de l’autre bord. Il a freiné devant moi, m’a regardé comme si j’avais fourré sa sœur, et m’a dit « À tantôt. » Pendant tout ce temps-là, la rondelle flottait sur la glace dans l’enclave devant moi, tout le monde l’avait abandonnée à part moi pis le goaler de l’autre bord.

Dans le vestiaire, Pat n’a pas dit grand chose. Il a chuchoté dans l’oreille à Darren, en le tapant sur l’épaulette. Tout le monde parlait, riait, criait. À tout bout de champ, t’entendais un bruit d’explosion ou de coup de poing fait avec la bouche : Pujh! Tout le monde était énervé, comme si on s’en crissait tous du score. Le coach des goalers, est venu me demander si j’avais besoin de changer le tape sur mes patins. J’allais lui dire que mon poignet me faisait crissement mal, mais j’ai décidé de laisser faire. Prrrrrrrhhh! À ma gauche, J-F jouait à « NHL 2006 » sur son Gameboy. Ses cheveux trempes dégouttaient sur l’écran. Il m’a marmonné quelque chose à propos du fait qu’il aimait beaucoup plus « NHL » au Gameboy qu’au Playstation, parce que tu pouvais fesser l’arbitre en tout temps, plutôt que juste aux mises au jeu. Craighead à ma droite parlait d’une plotte qu’il avait fourrée, le soigneur l’écoutait les yeux dans la graisse de bines. La dernière qu’il s’est pognée, lui, devait être pas mal chaudasse. Il ressemble à une chaudière de marde avec un col roulé pis un manteau de hockey. Paclow! Taschereau faisait le singe sur une chaise en plein centre. Il a commencé en se grattant les aisselles et la tête, après, il se déshabillait comme une danseuse. Mongeau pis Vaillancourt le sifflaient. Juste avant de retourner sur la glace, Pat a demandé le silence. Il nous a dit de monter l’intensité d’une coche et de ne pas se gêner pour checker l’adversaire. Il voulait qu’on le rende fier. En tout cas, nous autres, on s’est dit qu’on allait tout faire pour le rendre fier. J’ai gueulé qu’il fallait leur montrer c’était quoi des vrais fils-à-papa.

La période suivante est commencée avec trois buts d’affilée que je n’ai jamais vu se produire. Les trois fois, la rondelle était devant moi, j’ai cligné des yeux, et elle était rendue dans le filet. C’est comme si le temps avait sauté une coche. Ou comme si la rondelle s’était désintégrée pour se recomposer derrière moi. Ça m’a mis en crisse, ça fait que j’ai enfargé le 56 parce qu’il passait devant moi un peu trop souvent à mon goût. J’ai regardé Pat, il avait encore les bras croisés. Qu’est-ce qu’il avait, lui, à rien dire de-même? Pas de colère, pas de satisfaction, il restait droit comme un mur, pendant que ses fils-à-papa se faisaient crisser une volée à la recherche d’une émotion. On commençait tous à perdre le Nord. C’est-tu correct, ce que je fais là, Pat? J’aurais-tu dû lui crisser mon poing dans la face au lieu de le faire culbuter dans mon demi-cercle? J’ai-tu bien fait de chialer à l’arbitre à cause que le 48 m’a fait un six pouces dans les côtes, l’ostie de rat? J’ai-tu bien fait de garder la rondelle? Calisse, pas de réponse. On commençait à avoir l’air d’une gang de sans-dessein. Je ne suis pas sûr, mais je crois même avoir vu Taschereau brailler en rentrant vers le banc, c’était peut-être aussi juste une grimace et de la sueur.

Quand Darren, Vaillancourt et le 45 sont arrivés sur la patinoire en même temps, après le troisième but, la glace s’est comme réchauffée. Dès que la rondelle est tombée de la main de l’arbitre, quelqu’un l’a décoché jusque dans le coin à ma droite, tout le monde s’est garoché dessus, et le premier rendu s’est fait étamper dans la vitrine par le prochain, et le prochain par le suivant, et ainsi de suite. Tous les gants de tout le monde étaient à terre. J’ai vu Vaillancourt geler le petit 36, le 48 tabasser Craighead, l’ostie de fif numéro 45 se faire renverser par Darren. À un moment donné, dans les cris de la foule, les bruits de l’équipement qui se plie, qui se brise, des têtes qui frappent la glace, tu perds la notion des distances. Les chiffres sur les gilets se mélangent et tous les tapons de joueurs qui s’arrachent la face fusionnent. La sueur qui fait glisser la poigne, les odeurs qui se mêlent, le linge qui se déchire, la peau nue qui se frotte, les gémissements. Mon poignet me faisait mal en tabarnac.

J’ai revu le cave passer devant moi et je me suis dit que c’était la dernière fois qu’il me niaisait, l’ostie de fif. Je l’ai frappé derrière le genou droit avec le talon de mon bâton. Il s’est planté la face première sur le coin de mon but, puis sur le ventre, juste à côté. Je lui ai sauté dessus en enlevant mon bloqueur et ma mitaine. Sous moi, il bougeait pire qu’une barbotte sortie de l’eau. Fallait que je tienne sa tête pour le contrôler, jusqu’à temps que je reconnaisse la voix de Mongeau. Crisse, c’était lui que j’avais gelé sur le poteau. Il pissait le sang quand il s’est relevé. Et il patinait tout écartillé vers le banc. Ma vision s’embrouillait. Les joueurs se battaient à ma droite encore plus violemment, j’ai vu des coups de tête, des morsures, des coups de genou, mais je n’ai pas vu qu’est-ce qui venait de qui. Ça se mêlait au fur et à mesure que les chandails se déchiraient. J’ai ensuite vu Pat, les bras croisés, l’air indifférent. Qu’est-ce tu veux, calisse? Que j’embarque dans la mêlée? Que je chiale à l’arbitre? Que je m’accote sur mon filet, comme l’autre tata l’autre bord? N’importe quoi, dis-le, je suis là à attendre des ordres. Rien de pire que de savoir qu’on s’attend à quelque chose de notre part sans savoir ce que c’est, ostie. L’autre tata, l’autre bord, n’avait pas l’air d’avoir les mêmes soucis. Son père, à lui, était dans la foule derrière et traitait lui-même son fils de fils-à-papa, j’imagine. L’ostie de mongole, il était là, accoté sur son net comme un innocent. J’ai regardé vers Pat, toujours rien. Fuck off. J’ai enlevé mon masque, j’ai traversé la patinoire, je l’ai désaccoté, le tabarnac.

En sortant de la patinoire, ça me traitait de toutes sortes d’affaires, de colon, d’ostie de chien sale, de sauvage. Mais ça ne me faisait jamais autant rire que quand ils me traitaient de fils-à-papa.

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