11.4.08

Vivement, le vélocifère!


Le nouvel album de Karkwa commence avec un bruit de roue de bicycle qu'on laisse tourner, comme en descendant une pente, le vent sifflant tout autour. Ça descend un moment, puis on plane sur l'élan du premier couplet, en anticipant l'instant fatidique où il faudra fouler le pédalier.

Si je ferme les yeux, je sais exactement où je suis: à peu près trente mètres après la côte de la rue de l'Iris, à Granby, juste avant que ça commence à remonter, mon t-shirt fait une énorme bulle dans mon dos; je ferme la bouche et je serre le guidon. On a tous une côte dans la tête, la mienne n'a rien d'extraordinaire, elle fait un grand croche vers la droite, elle est divisée par un terre-plein, et elle est celle que j'ai le plus descendue dans ma vie. Quand j'ai besoin de penser à une descente à vélo, les pieds au repos sur les pédales, c'est celle-là qui m'apparaît.

J'ouvre les yeux. Juste avant que la vitesse diminue, pour simuler l'élan de la côte, la guitare et la basse appuient, poussent, non, brutalisent leur pédale respective. Là, ça roule, ça zigzague, ça stoppe sec, ça saute les trottoirs, ça ne ferme presque plus les yeux. La première minute de l'album vient à peine de s'écouler et déjà, on sait qu'on est en vélo. D'ailleurs, dès qu'il est remis à neuf, je sors le mien, je m'arme du iPod d'Anne-Marie et je pars faire un tour. Je suis persuadé que Le volume du vent est fait pour être écouté sur deux roues, entre le trottoir et les voitures, dans un minimum de trafic. Qui c'est qui fait le test avec moi?



Heureuse coïncidence, mon premier coup de coeur littéraire depuis un bout de temps présente, sur sa couverture, un océan de roues de bicycles. J'ai acheté le recueil de Stéphane Ranger intitulé Plusieurs excuses (aux éditions de Ta Mère - Salut, Maxime!). Ça annonce très bien le printemps en tout cas: j'ai acheté ce livre la veille de la sortie de l'opus de Karkwa. Les deux me donnent envie de faire du bicycàpédales.

Plusieurs excuses m'a accroché avec son ton agressif et affamé. Ça commence par «J'ai vu une belle fille et j'ai pensé au destin de l'humanité.» Et, le rythme ne lâche tout simplement pas. D'une nouvelle à l'autre Emmanuel Danger - une espèce de Marty McFly cocaïnomane - chevauche son «vélocifère» et «plie la ville entière». Par moments, on y lit du Laferrière enragé, du Kerouac à vélo, une incarnation du cool avant toute chose. D'autres tantôts, on a vraiment l'impression de suivre un petit gars avec une serviette de plage en guise de cape, faire des bruits d'avions alors qu'il tourne les coins de rues en BMX. Ça fait un curieux mélange qui s'explique, je crois, du fait que le narrateur passe son temps à vanter sa bécane comme on entendrait quelqu'un vanter son char, ou comme un cowboy parlerait de son cheval. La seule différence, et c'est peut-être juste mon imaginaire parfois cabotin qui déforme ma lecture, c'est que - come on! - on parle d'un bicycàpédales! En fait, ce qui m'épate, c'est que le narrateur parvient à faire passer une virilité agressive et indubitable par le moyen du vélo - cet engin sans moteur, relativement chétif, toujours plus léger, ami de la Terre, silencieux.

Il reste qu'Emmanuel Danger fait la course avec les voitures, meurtrit l'asphalte, arrive en sueur au Saint-Sulpice et se soûle la gueule sans changer de phrase, et sans enlever son casque - il porte un casque, bâtard de marde! Et on y croit parce que l'écriture de Stéphane Ranger est solide et rafraîchissante (whatever that means):

«Imagine-toi t'empoisonner sciemment; imagine-toi te convaincre de respirer de l'eau dans ton bain; imagine-toi te trancher les poignets, soûl pour ne rien sentir, et attendre que l'engourdissement te prenne! - Pur délire... La nausée t'envahit trop; c'est à peine possible; le fil de la lame te fait halluciner des crissements d'ongles sur le tableau noir : insupportable!» (p. 68)

6 commentaires:

Anonyme a dit...

Et c'est drôle comme tout coïncide encore: le soir du lancement de Plusieurs excuses, on a acheté ton disque, William, qui s'est parfaitement accordé avec la pluie printanière de notre lendemain de veille. Quelques heures plus tard, on est allés acheter Karkwa avant d'aller boire le retour en classe sous un soleil de 1er avril.

C'était vraiment le printemps.

ta mère a dit...

"une espèce de Marty McFly cocaïnomane"

La sitation de l'année.

J'ai pas tenté de décodé dans quel état exact ça me plonge, mais Karkwa (et Ranger aussi, parce que consommé en même temps) me fait aussi retomber loin derrière, dans une drôle de chute vers des souvenirs délirants.

Beau papier, vraiment.

-Max

Benjamin Turcotte a dit...

Will, j'veux ton disque!
Et appelle l'on nous donc, pour une game des séries!

Danger Ranger a dit...

Merci pour cette chouette critique!

William a dit...

@Maude:
Hey, merci de m'écouter, c'est l'fun! Je remarque pas mal la différence entre avoir un album (l'objet matériel, tangible) et avoir un myspace ces temps-ci. Même si c'est homemade/lo-fi/approximatif, l'album m'amène trois fois plus de critiques. C'est super!

Et moi qui comptait sur l'effet myspace pour atteindre les rangs des Arctic Monkeys et autres feux de pailles myspaciaux...




@Max:
Merci pour le commentaire et la plogue sur le blog de ta mère. Sérieusement, vous m'avez jeté sur le cul avec ce petit recueil de nouvelles, tout en énergie. Ça donne encore plus le goût de lire vos autres publications.

Ça fait déjà au moins trois personnes à qui je parle qui s'enlignent pour essayer de vous trouver en librairie, parce que le recueil de Ranger les intéressait. J'ai donné votre adresse web.




@Antoine:
Dude, ça fait quoi, deux jours que tu as laissé ce commentaire? et depuis ce temps-là je sonde mon entourage à savoir s'ils connaissent un Antoine Becks qui serait lié à moi d'une façon ou d'une autre. Je suis désolé, j'ai ouvert mon cerveau, j'ai gratté, j'arrive pas à me rappeler t'es un ti-qui toi!...

J'vais me sentir cheap si t'es, genre, ma soeur ou quelqu'un qui connaît ma date de fête, mais, moi, je ne te reconnais vraiment pas!

Mais merci tout de même pour le commentaire, et on peut s'arranger pour te procurer un album, ça me ferait plaisir.




@Monsieur Ranger:
Bravo! J'espère que tu continues d'écrire, parce que ça rock, solide.

Danger Ranger a dit...

RE:
J'ai un roman en cours d'écriture et un autre en rumination...
Avec ça j'essaie de garder mon blogue littéraire vivant en le nourrissant de petites créations le plus assidûment possible - en incluant des textes publiés sur mon MySpace, j'accumule tranquillement une jolie collection de textes brefs.

C'est le fun d'avoir des lecteurs qui aiment!