À mes amis qui se préparent pour les cycles supérieurs, ou pour une année de rédaction, prenez garde! Cette vie est dangereuse : le bien-être qu'elle engendre pourrait bien vous tuer. C'est du moins ce que je crains, alors que les quelques jours par semaine à travailler chez moi me permettent d'avoir un horaire tantôt flexible, tantôt fuck-all (dépendant du niveau de stress du moment), dans lequel j'oscille quotidiennement entre jouer de la musique, écrire, rédiger, lire, youtuber, facebooker, cuisiner, cocooner, visionner des épisodes de 30 Rock, atteindre ma vitesse maximale à la course dans mon long long corridor sous le regard inquiet de Simone, faire semblant d'être un boxeur de rue devant le miroir de la salle de bain, chercher dans ma tête le titre de l'émission du matin pour enfants qui existait avant Vazimolo et qui était animée par Luc Senay, regarder les trouvailles quotidiennes de mon nouveau site Internet favori, Found Magazine (à ne pas confondre avec ffffound.com), en remontant jusqu'à la date d'inauguration du site, écrire de très longues énumérations et débattre intérieurement à savoir si je ne devrais pas remplacer les virgules par des points-virgules donnant du même coup à mon texte un souffle d'autant plus littéraire (je suis à la Mêtrise, après tout), et, bon, tout le reste.
Ma conception du travail, voire de la vie adulte, reste celle d'un neuf à cinq pesant et constant. Je suis conscient que c'est faux et limité comme idée, mais on ne choisit pas ses parents, ni le milieu dans lequel on grandit. Avoir eu des parents artistes professionnels (parce qu'ils le sont autrement que par profession, à leur façon), une grande soeur sportive professionnelle, un entourage de ce monde anormal, bohème et communiste (!), qui ne se tape pas le métro-boulot-fuck-it toute la semaine et qui ne prend pas plus vie la fin de semaine; mon regard sur mon quotidien actuel serait sans doute moins extatique. En ce moment, j'ai l'impression d'être en sursis. En attendant que la vie normale débute, on me donne une dernière chance de faire ce que j'aime. Et je m'étonne d'y faire de l'argent, d'y être heureux, amoureux, inspiré (un William inspiré est un William heureux, je vous assure, quelle qu'en soit la source), d'y survivre quand même.
Je pourrais lire ce message dans cinq ou dix ans, et avoir envie de me tirer une balle dans la tête : voilà le danger. Que cette vie perdure, que ce quotidien s'étire, que j'aie le temps d'écrire vingt romans, des milliers de nouvelles, des centaines de chansons, avant de devoir me ranger dans l'autre monde.
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En me tapant des dizaines de manuscrits de quêtes souvent incohérentes dans des mondes fantastiques beaucoup moins fantaisistes et souples qu'on se les imagine (jugement quelque peu facile : pour une production destinée à une génération sur-stimulée, je trouve que les gens en général manquent d'esprit et d'imagination), et devant le mois de novembre lourd de gris et d'humidité; deux remèdes musicaux collent à mon crâne. Le premier date de décembre 2006 et s'appelle Knives Don't Have Your Back, d'Emily Haines & The Soft Skeleton. Avec sa musique à saveur automnale évidente, Emily Haines est née (oui, j'ai bien dit "née") dans le super-band Broken Social Scene et elle écrit, comme une reine esseulée dans un royaume de glace sur une planète post-industrielle, des paroles qu'on aimerait tous avoir écrites, comme ce refrain sublimement vermontois "With all the luck you've had / Why are your songs so sad? / Sing from a book you're reading in bed / and took to heart / All of your lives unled, reading in bed" ou encore la magnifique punchline "Our hell is a good life."
C'est beau, c'est belle, et c'est torontoise, bâtard.
La deuxième chose musicale s'appelle "The 1920's Radio Network" et ça fait longtemps que je le connais celui-là. Il fait partie des nombreuses (et très riches) radios que nous offre le logiciel iTunes, dans la catégorie "Eclectic". Pour tous les amateurs de jazz big band, ou ceux qui, comme moi, sont fascinés par ces périodes de l'avant-, pendant- et après-guerre aux États-Unis. On y entend de la musique avec des paroles comme on n'en fait plus (ou en tout cas, qu'on ne cachait pas derrière un deuxième degré trois-accordien de plus en plus lassant, ou sous l'étiquette d'une poésie naïve, sans prétention, à la bonne franquette, tricot-machinienne) : "I put a penny in the slot / But all I ever got / Was five salted peanuts." (Il faut ajouter qu'en plus composer une aussi belle insipidité, quelqu'un en quelque part a fait assez de réseautage pré-facebookien pour convaincre un orchestre d'au moins dix personnes de l'accompagner, pour en faire un hit. C'est très fort.)
6 commentaires:
Tu penses vraiment qu'on va tous finir par se faire engloutir? Mon monde à moi il perdure depuis longtemps, et j'ai bien l'intention de l'étirer jusqu'à ce que mort s'en suive.
Tout dépend de tes visées...
Non, je ne pense pas qu'on va tous forcément être engloutis, mais c'est important d'avoir peur... Ça tient éveillé. Moi, en tout cas, ça me donne un beau gros sentiment d'urgence par rapport à tout ce que je fais.
Et puis, ce texte ne se termine pas sur une fatalité, mais bien sur un voeux de "forèveure and èveure" plutôt positif. Le fait d'espérer que ça dure longtemps implique une volonté d'agir en fonction de ça.
bien d'accord
Oh, il est beau le nouveau look de Twist'N'Serve.
Et j'ai beaucoup aimé lire ton texte.
moi aussi !
Je finis ma scolarité pis je viens vous rejoindre.
En attendant je pleure.
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