4.11.08

LES BOMBES

À huit ans, le morceau de ferraille que tu trouves par terre devant la porte du garage de la maison où ta mère a vécu jusqu’à ce qu’elle rencontre ton père et qu’il l’arrache de la terre familiale pour l’emmener dans le Nord lointain peut facilement faire office de bombe à tirer sur la dépouille de n’importe quel tracteur, remise ou tas de roche qui se trouvera sur ton chemin. La rouille qui l’enveloppe, la tige de caoutchouc séché qui en sort comme une excroissance noircie par la gangrène, et tous ces autres indices du passage du temps sont de très faibles contrepoids à ce que l’objet peut devenir, dans ta tête, en un instant. Suffit de lui donner un nom – Cordonnance, Stride maximale, Chancerelot XP300 – et d’émettre quelques sons de métaux en fusion pour qu’il se transforme dans tes mains, qu’il devienne un obus et que tout éclate instantanément. La bombe sera réutilisable, alors elle s’appellera Re-quelque chose – Retrialternateur, Rêlons à ressortiment. Tu la ramasses rapidement, avant qu’on te repère et tu galopes jusqu’en haut de la bute pour lui trouver une première cible. Le citerne flambe après trois tentatives. Les deux vaches toutes maigrichonnes, s’échangeant les mêmes bactéries chaque fois endurcies depuis trois ans, dont le lait goûte l’aneth et dont le poil tombe un peu plus après chaque orage – ton oncle Joe dit qu’elles reprennent du poil de la bête à chaque fois – les deux vaches rachitiques, donc, se désintègrent comme des scutigères quand tu leur envoie le Retrialternateur à double épanchement – le R.D.É. 300 – à moins de quatre mètres. La balançoire sert de rampe de lancement pour anéantir le buisson près de la piscine hors-terre.

Tu manges les racines des vieux cèdres qui longent l’arrière de la maison, tu les fais ramollir dans un bouillon de cuir, de pierre concassée et de pelouse. Quand il pleut, tu te sers des vieux hangars comme abris, même s’ils sont remplis de vermines dont les cris stridents rebondissent sur les parois de tôle comme les ricochets de mille balles tirées par mille mitraillettes. Il pleut presque tout le temps, alors tu finis par t’habituer, les échos ont beau revenir, ils ne t’atteignent qu’en sourdine; tu t’es couvert les oreilles d’une vieille chemise de flanelette sentant l’huile, le sable et le copeau de bois. Elle te rappelle ton oncle Joe, et le nuage de poussière qui apparaissait quand tu frappais de toutes tes forces sur le siège de son camion. Personne n’intervient quand tu fais sauter, à l’aide de ta bombe rechargeable, les deux silos sur lesquels triomphait depuis plus de soixante ans le nom du village où est née ta grand-mère.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

J'ai mal à cette photo. Ce n'est pas un enfant; il y a déjà plusieurs vies de perdues dans son regard.