18.1.09

FOLKLORIC FEEL : Le vernaculaire comme assise du réalisme ambivalent

Dans la préparation de la publication de mon recueil, Townships, aux éditions Marchand de feuilles, mon éditrice m'a demandé de lui écrire un court résumé de mes démarches scolaire et littéraire. Je me suis senti tout à coup très important, alors j'ai donné libre cours à l'introspection et voici ce que ç'a donné.



J’aime quand la littérature devient un lieu où les imaginaires collectif et personnel se croisent. Cette rencontre donne souvent naissance à des représentations nouvelles du réel qui se manifestent à même le langage. Dans mon cas, l’écriture découle d’une volonté de mettre en valeur une tension entre le folklorique et le littéraire. J’investis donc mes textes d’un imaginaire subjectif fort, mais à travers divers éléments textuels empruntés au folklore : l’oralité, la tonalité de la tall tale américaine, le décalage thématique du réel.

Essentiellement, ma démarche d’écriture, comme mes études, repose sur un principe que m’ont inspiré certains artistes américains de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle jusqu’à ceux d’aujourd’hui : le vernaculaire. D’un aveu plus personnel, ce principe du « no-nonsense », du pragmatisme typiquement nord-américain, semble définir une bonne partie de ma compréhension du monde. Pour résumer très simplement, aux lendemains de la guerre civile, la forte immigration et les nombreux différends idéologiques au sein de la population américaine marquèrent la production littéraire de l’époque d’une écriture réaliste teintée de régionalismes et de folklore local. Durant une période où l’unité du melting-pot américain était rudement mise à l’épreuve, on envisagea écrire, en un langage relativement simple, des récits rassembleurs, qui toucheraient le plus de gens possible en évoquant des réalités contemporaines, voire quotidiennes. Ce que les écrivains faisaient au langage – le simplifiaient, le débarrassaient de ses « excroissances » – correspondait exactement à ce que les ingénieurs, mécaniciens et constructeurs américains faisaient au design d’engins et de bâtiments de la même époque.

Adventures of Huckleberry Finn, œuvre-phare de Mark Twain, évoque sans doute mieux que tout autre récit de la période le potentiel poétique du langage populaire. Dans une expérimentation langagière qui, selon Ernest Hemingway, serait à l’origine de toute littérature américaine moderne, Twain arrive à intégrer à la narration du personnage principal l’humour, la grandiloquence et l’oralité d’un discours folklorique qu’on n’avait pas lu depuis Washington Irving. Ainsi, Twain sait incorporer la culture vernaculaire à un récit des plus personnel et littéraire : les tensions langagières qu’il parvient à mettre en évidence sont remarquables. À la toute fin du roman, Jim, l’acolyte fugitif de Huck Finn, s’exclame maladroitement : « Signs is signs ». De surcroît, pour l’auteur, qu’il soit d’ordre populaire, folklorique, littéraire, aristocrate, le langage produit des signes qui ne peuvent être hiérarchisés.

Jan Harold Brunvand (s’inspirant clairement des travaux de Pierre Bourdieu) prétend que l’on doit diviser la production narrative d’un pays en trois catégories : le récit folklorique, le récit populaire et le récit d’élite. Adventures of Huckleberry Finn transcende cette hiérarchie en empruntant des éléments à chacune de ces catégories. Si le mandat de Mark Twain était, selon ses propres dires, de « cultiver les masses », il a certainement gagné son pari en produisant une œuvre littéraire largement répandue et hautement estimée dans toutes les sphères culturelles du pays.

Pour moi, l’emploi du vernaculaire en littérature – ce qui, grosso modo, touche à une culture tantôt populaire, tantôt régionale, et qui résonne essentiellement dans une réalité quotidienne marquée par l’oralité – permet d’évoquer un réel « ambivalent »; c’est-à-dire, à la fois subjectif et folklorique. Subjectif en ceci qu’il se fonde sur une perception toute personnelle, individuelle, appuyée par la notion de voix qu’impose l’oralité. Et folklorique, d’abord, dans la mesure où ce vernaculaire est le produit d’une culture populaire précise, puis dans l’idée voulant qu’à la base de tout folklore, il y a l’oral.

Il ne s’agit donc pas de voir l’oralité (ou le vernaculaire en tant que concept englobant oralité, culture folklorique, artisanat, etc.) comme étant une performance langagière, mais bien comme étant un outil dans la représentation du réel. Et le caractère ambivalent de celui-ci – lieu de croisement d’imaginaires collectif et personnel – est souligné par les tensions entre le littéraire et le populaire.

Townships est la recherche d’un folklore personnel – ou d’une voix folklorique – qui se situe précisément dans la région de Brome-Missisquoi ; territoire où se mêlent les cultures anglophones (canadiennes et américaines) et francophone, où les Cantons-de-l’Est sont perçus comme un autre bel exemple du fameux melting pot nord-américain. De par leurs décalages thématiques du réel et leur oralité parfois débordante, ces quelques nouvelles sont des tentatives de tall tales (ces récits rocambolesques qui brodent leur canevas populaire d’exagérations et d’inventions truculentes, selon la définition qu’en fait Marc Chénetier), adaptées à une vision personnelle des Cantons-de-l’Est. Comme autant de récits d’origine, de mythes et de légendes personnelles, les nouvelles de Townships fondent la quête identitaire sur un réalisme ambivalent.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Ecrire, écrire,
écrire c'est simple beaucoup d'hommes politiques français le font en jouant sur leur nom, être lu et être compris sont une autre histoire.
Faire réver encore une autre, bien plus difficile à réaliser.
Cordialement