22.3.09

MCKESSON CANADA INC.



Einstein n’est pas seulement un personnage de Watatatow que tout le monde sauf Michel Couillard s’obstinait à traiter comme de la marde, il est surtout un grand physicien allemand qui a bouleversé l’entendement humain en stipulant que le temps et l’espace sont relatifs – je crois que tout le monde connaît Albert Einstein, alors c’est un peu con de lui avoir fait ce préambule –, voulant dire grossièrement que plus on va vite, plus le temps passe lentement, et que si j’avais réellement voulu écourter mon quart de travail, je ne me serais pas tué à courir d’un bout à l’autre de ma section. J’avais des bottes de travail cette fois-ci; parce que la semaine précédente, je n’en avais pas et Louise, la responsable de quart, avait évoqué la CSST et tout un paquet de revendications syndicales en litige présentement, comme quoi des pauvres négociants se battaient en quelque part pour obtenir des droits fondamentaux que moi, je négligeais bêtement; et je portais fièrement les pantalons de travail qui n’avaient servi qu’une seule fois auparavant, alors que l’appartement devait être repeint presque au grand complet et que je m’étais essuyé les mains sur les cuisses, même si j’aurais très bien pu me servir de la débarbouillette prévue à cet effet. Mais un gars ne se pointe pas chez McKesson Canada Inc., ni nulle part ailleurs, en pantalons de travail immaculés; pas plus qu’il n’y débute une conversation en citant l’Électrodynamique des corps en mouvements : son scanneur en main, son bracelet à écran au bras, son cœur à plein régime et son esprit vide, un gars fait le travail et essaie d’oublier le plus possible toute idée étrangère au moment présent, réel et palpable. Un gars choisit sa section ou se la fait assigner par la responsable de quart et part au galop en espérant que ses voisins de sections ne chantent pas à tue-tête par-dessus l’émission de tubes discos qu’un haut-parleur crache faiblement dans les rangées. Je commençai comme il le faut, avec la première caisse que le convoyeur m’amena : je scannai le code-barre sur le couvercle, le premier item que me montra l’écran à mon bras fut le L-12, j’allai dans la rangée appropriée, scannai le code-barre de la case de l’item, 4 contenants de 250 ml de Robitussin DM-E, dompai les boîtes de médicament dans la caisse en plastique sur le convoyeur, appuyai sur l’écran pour avoir l’item suivant. Après quelques caisses qui passèrent devant moi, réclamant les items de mon lot de rangées, à coups de quinze items par caisse, j’atteignis l’état second, celui tant redouté, qui m’avait forcé, la semaine précédente, à m’arrêter pour constater qu’effectivement, je n’avais pas eue de réelle pensée depuis au moins vingt-cinq caisses, et qu’il en restait beaucoup plus en amont qu’il n’y en avait en aval, sur la courroie du convoyeur. J’entendis la voix de Gloria Gaynor qui, ironiquement, me rappela ma première année du secondaire et l’interprétation de « I Will Survive » du groupe Cake et son chanteur qui portait une barbe en forme de beigne et le vidéoclip qui jouait à Musique Plus et le fait que plus personne n’écoute vraiment de vidéoclips et j’aurais aimé alors revoir les Vox Pop dans lesquels n’importe quel tarré descendu de Sherbrooke ou squattant sur de Bleury venait s’asseoir dans la cabine pour dire le fond de sa pensée avec son accent fuckaillé et tout ça en scannant en comptant en identifiant et en dompant toute une quantité de produits pharmaceutiques et en tentant d’ignorer l’épaisse qui s’était mise à chanter l’air des Bee Gee’s qui, maintenant, me fit penser à Wyclef Jean et à sa reprise de « Stayin’ Alive » et à comment l’item M-465 était momentanément introuvable, jusqu’à ce que je le trouve en lisant les numéros des rangées comme du monde et en constatant qu’il est préférable de ne pas trop penser, même si, parfois, de ne pas divaguer semble aussi difficile, impossible que de renaître débile mental.

4 commentaires:

Alexie M a dit...

Difficile de croire que le chanteur de cake ait pu avoir un plus gros beigne que le tien.

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Il faut quand même que je te félicite pour l'exploitation inusitée de la forme poétique que je découvre dans ce texte.

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Tsé.

William a dit...

Marci AL,

Mon objectif plutôt con était de ne presque jamais utiliser de point. J'essaie de développer la longue phrase ces temps-ci. C'est depuis ma lecture bouleversante d'un texte écrit par une certaine jeunauteure d'Ahuntsic publié dans le dernier Moebius...

Alexie M a dit...

Coeur.

Mélanie J. a dit...

C'est pas nécessairement le bon endroit, mais j'ai pas trouvé ton courriel pour te dire que je t'avais fait une petite plogue là-bas:

http://taupiniere.wordpress.com/2009/04/01/un-biscuitien-publie/