23.2.10

Deuxième de couverture, no 8 - The Mezzanine (Baker)

But other things, like gas pumps, ice cube trays, transit buses, or milk containers, have undergone disorienting changes, and the only way that we can understand the proportion and range and effect of those changes, which constitute the often undocumented daily texture of our lives (a rough gravelly texture, like the shoulder of a road, which normally passes too far for microscopy), is to sample early images of the objects in whatever form they take in kid-memory - and once you invoke those kid-memories, you have to live with their constant tendency to screw up your fragmentary historiography with violas of lost emotion. (p. 41)

Au-delà de la digression qui semble a priori en fonder l'esprit, la narration de Nicholson Baker dans son premier roman intitulé The Mezzanine (1988, en traduction chez 10/18, 1993) effectue une perpétuelle dissection de l'instant. Le roman de 135 pages décrit en détails ultraprécis la montée de l'escalier roulant d'un employé sorti acheter une nouvelle paire de lacets. Pendant 135 pages, donc, cet instant qui totalise environ trente secondes est divisé en un dédale d'observations sur les éléments qui entourent le personnage. Ce qui frappe, c'est la lisibilité de l'ouvrage en dépit d'un contrat relativement difficile à honorer: avoir l'attention du lecteur dans un univers à ce point suffoquant. Baker y arrive grâce à des explorations originales de phénomènes extrêmement familiers. On découvre notamment que le narrateur a choisi récemment d'abandonner la technique de "pre-bunching" pour enfiler ses bas au profit d'une méthode moins flamboyante, mais plus pratique. Le narrateur explique que l'ancienne technique consistait à rouler ou plier le bas en une espèce de beigne froissé qu'il déroulait ou dépliait à partir des orteils jusqu'à la cheville. Il préfère désormais pénétrer tout simplement le bas mou, laissant tout son pied toucher les parois intérieures du bas jusqu'à ce que le pied soit en place. De cette façon, pense-t-il, tout objet gênant qui aurait pu se coller sous son pied entre la douche et sa chambre est aussitôt balayé.

Évidemment, Baker le décrit mille fois mieux. Si, par moments, c'est vraiment étouffant, l'importance chez le narrateur d'une approche pragmatique basée sur des expériences réelles, concrètes, rend tout très léger. On s'étonne d'ailleurs de sortir de cette lecture avec un sentiment d'abondance qui contraste énormément avec la grosseur du livre.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Ah bien ça alors! 135 pages pour 35 secondes de présent... Ça c'est une idée que j'ai eue souvent, de créer une distorsion sévère entre le temps de la lecture, le temps de la narration et le temps de l'action, mais je n'ai jamais essayé, parce que j'ai un jour trouvé un texte d'Artaud qui racontait une minute en 18 pages - devant sa fulgurance je me sentais bien petit -, mais aussi parce que ça prend du métier en sivouplet pour digresser habilement - et que c'est pas le genre de contrainte qu'on se donne pour commencer en prose. Les petites scènes précises, les personnages à déclicher, entendre des voix, me semble que c'est primordial avant l'expérimentation.
Anyway, ce serait bien le fun de ressortir Genette en lisant ce texte. Ou pas. Mais bon, 35 secondes de temps de narration pour je ne sais combien d'années en analepses... Ç'a dû être le fun à écrire.