7.5.10

Deuxième de couverture no 14: The Recognitions (Gaddis)


Le foisonnement, l’incertitude, le chaos langagier, ça me gêne même d’en parler, tant ces concepts ressemblent à autant de passages obligés des textes critiques au sujet de l’œuvre de William Gaddis. Je pourrais aussi parler de la densité narrative, des multiples croisements dialogiques, de l’impossibilité de lire The Recognitions, son premier roman publié en 1955, sans se perdre au moins une fois dans les dédales du récit. Je me contenterai d’abord d’affirmer qu’il faut lire Gaddis. Au même titre qu’il faut lire Hemingway, Faulkner, Twain et, qui donc, Stein (oui oui, Kerouac aussi), il faut lire Gaddis ne serait-ce que pour voir où peut mener l’obsession (toute américaine) pour la voix en littérature.

En lisant The Recognitions (Les reconnaissances chez Gallimard, je crois), je me suis mis à penser au cours d’histoire de l’art que j’ai suivi au bacc. qui nous proposait d’observer comment, au tournant du vingtième siècle, New York vola l’idée d’art moderne. C’est d’ailleurs le titre d’un livre dans le corpus du cours : l’auteur y observait comment New York a supplanté Paris comme capitale mondiale de l’art moderne. Plus globalement, les artistes peintres américains (les expressionnistes-abstraits en étant les plus connus – Pollock, Rothko, de Kooning, etc. – on pourrait parler aussi de Stuart Davis, dont une oeuvre a été choisie pour la couverture de mon édition des Recognitions) ont envahi le marché avec des gros formats, de la densité, du what you see is what you get.

Dans une espèce de tour de force narratif, Gaddis fait se déplacer tout un groupe d’expatriés américains de Paris à New York. Ce n’est jamais précisé : on ne lit jamais un truc comme « ils sont à Paris » puis « les voilà maintenant à New York ». Seulement le rythme, l’atmosphère, les descriptions, et surtout le langage que Gaddis reproduit à la manière d’un « macrophone », capable d’enregistrer et de sélectionner des passages de discussions afin d’en former un véritable discours ambiant : tous ces éléments nous convainquent qu’on n’est plus en Europe, mais bien dans le foisonnement bruyant des grandes villes américaine - à New York, de surcroît. Dans la perspective de la mouvance artistique décrite plus haut, ce déplacement narratif a de quoi faire réfléchir.

Quand des amis, de la famille ou des collègues me demandaient ce que je lisais – parce que les quelques 950 pages du roman en font un livre qu’on traîne partout, un peu malgré soi, si on veut en venir à bout – je me suis toujours empressé de résumer l’intrigue à un synopsis plus ou moins banal : « C’est l’histoire d’un peintre qui fait des contrefaçons si parfaites qu’on en vient à ne plus distinguer le vrai du faux. » Pourtant – encore là je tombe dans le cliché du texte sur Gaddis – c’est tellement plus que ça. En fait, je ne suis même pas sûr à quel point c’est vraiment ça.

J’ai déjà parlé de l’évolution du rapport au réel dans l’après-guerre (l’après-Hiroshima, devrais-je peut-être dire). Pour une quantité d’auteurs, le réel n’est plus perçu comme étant phénoménal: il est verbal.* Peut-être que le texte de Bill Gaddis cherche à en faire la preuve : rien n’est offert au lecteur qui ne passe pas d’abord par un processus discursif sinueux, soit via l’échange de répliques dans un party, soit via la description inquiétante de ce que perçoit un personnage. C'est sans doute pourquoi j'ai préféré remplacer la citation en exergue habituelle par un tableau de Davis, ne sachant tout simplement pas quoi choisir parmi mes nombreux coins de pages pliés.



*C’est le théoricien John Kuehl qui le dit.

1 commentaire:

Steed Colliss a dit...

Pour de la belle guit':

http://www.youtube.com/watch?v=d6CFAbVHMBQ&feature=popular