Du change

En vérité, vous me connaissez, je suis un gars sensible. Il reste que, dans les racoins de mon esprit seinfeldien, je remarque des choses, tsé. Par exemple, ces temps-ci, au métro Henri-Bourassa, un homme demande la charité en psalmodiant « du chaaaaaooonge, pou’ maaaaaaaaoooongeeeeer ». Je suis sûr que vous l’avez déjà vu ailleurs: il se promène. Il est bedonnant, hirsute et il se balance lentement d’un pied à l’autre en tendant mollement la main. Je crois qu’il ne regarde jamais directement les passants, mais son balancement donne toujours l’impression qu’il s’approche des gens. Je suis convaincu qu’on est plusieurs à être gênés par l’excès de pathos qui émane de ce pauvre homme : l’air qu’il affiche est tellement, intensément triste qu’il m’arrive - honte à moi, vraiment - de trouver qu’il surjoue.

En réalité, ce qui le rend si « faux » dans mon regard complètement tordu, c’est ce mantra qu’il répète en respectant toujours une certaine ligne mélodique : « du chaaaaaooonge, pou’ maaaaaaaaoooongeeeeer ». L’autre jour, Anne et moi sommes restés pognés avec ça dans la tête pendant plus d’une heure. On faisait à souper en lâchant un « du chaaaaaooonge, pou’ maaaaaaaaoooongeeeeer » spontané, tantôt en faisant la même face que le gars, tantôt en prenant la voix d’un ténor ou d’une chanteuse country.

Ce matin, j’ai allumé sur le fait que cet homme avait, finalement, une véritable gimmick pour demander la charité. Il nous plogue une toune super-accrocheuse dans la tête – un genre de « Trololo » de la pauvreté – en espérant qu’elle parle à quelque chose de profondément enfouie en nous. On serait ensuite poussé à sortir compulsivement une poignée de change (pou’ maaaaooongeeeer).

D’ailleurs, ces temps-ci, le gars se tient à quelques mètres de l’endroit réservé aux musiciens du métro.