10.8.10

Quelques mots sur le Cat Penis Pines Inn, Lincoln NH

Une journée à ne rien faire dans le lobby boisé et tapissé du Cat Penis Pines Inn, en attendant la venue du serrurier qui pourra enfin ouvrir la porte de ma chambre. La charmante dame qui gère les réservations et qui accueille les nouveaux arrivants a commencé à me traiter comme le divan carreauté sur lequel je pose mon cul arrondi. Après quelques heures, elle s’est tannée de m’offrir ses excuses pour toute cette aventure de porte barrée et elle me voit désormais comme une tache qui ne s’efface pas sur le tapis du hall : j’imagine qu’au bout d’un certain temps, on s’écoeure d’être repentant. De toute façon, ce n’est pas comme si c’était sa faute. On m’avait averti qu’il s’agissait de la dernière paire de clés pour cette chambre. J’avais cru bon de souligner que je ne planifiais pas sortir. Quand j’ai entendu quelqu’un frapper à ma porte, il m’a d’abord fallu revêtir une robe de chambre, ce qui a donné au petit morveux tout le temps nécessaire pour rentrer se cacher dans la sienne, me laissant ainsi pris dans le corridor.

Alors que j’explique ma situation à la réceptionniste, un gars nommé Richard, qui insiste pour que je l’appelle Ricky D., a la gentillesse de me prêter un habit.

- C’est pas comme si j’en avais besoin, je suis ici pour le tournoi de golf. Rien comme un petit 18 pour m’éloigner de la bonne femme! Toi, tu joues-tu au Gentlemen-Only-Ladies-Forbidden?

- Pas tellement, non.

Il sort du Minnesota et donne l’impression d’avoir constamment une bouchée de steak dans la gueule, quand il parle. Son habit est beaucoup trop grand pour moi : le gars doit peser 50 livres de plus que moi et il me dépasse d’une tête. Sa façon de prononcer « Gentlemen-Only-Ladies-Forbidden » tout en long, comme si je ne connaissais pas déjà l’origine du mot
golf – je ne projette peut-être pas l’image d’un homme à l’affût de ce genre d’information –, me donne des frissons.

- Oh,
cheer up, mon homme! Tu pourrais en profiter pour te téter une couple de drinks gratuits au bar. On me dit que c’est le hot spot pour les petites femmes du coin. Je veux dire : qu’est-ce qu’un gars veut de plus? Pas de bague au doigt, de la boisson gratuite, pis la meilleure excuse pour demander à une femmelette de partager son lit…

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En retour du tournoi, après ma journée à ne rien faire au Cat Penis Pines Inn, Richard m’offre de garder l’habit, en me proposant de le lui envoyer par la poste quand j’aurai regagné le confort de ma chambre. Je lui raconte sans trop d’enthousiasme que j’ai suivi son conseil d’aller écouler la durée de mon exil au bar de l’hôtel. Évidemment, je ne pouvais pas me remettre au travail, les manuscrits étant tous dans une boîte de carton que j’avais pris soin d’amener avec moi près du bain tourbillon de la chambre d’hôtel.

Il m’a fallu quelque temps pour convaincre le barman de mon histoire. Il me faisait toujours répéter. Puis, après être allé en parler à la réceptionniste, il m’a dit que le serrurier s’en venait bientôt, mais que pour me dédommager, le boss m’offrait toutes les pinottes que je voulais. Au diable les dépenses. J’ai commandé une bière et je me suis assis au bar.

Deux heures plus tard, le barman a compris que le serrurier ne viendrait pas de sitôt et il m’a offert une deuxième bière, puis un shooter de whisky, suivi d’une troisième bière. Sauf pour nous deux, le bar rustique était désert. On regardait ensemble une sorte de compétition de bûcherons diffusée sur une de ces tierces chaînes sportives où se trouvaient tous les sports occultes comme le cricket, le souque à la corde et les fléchettes.

L’énergie déployée par ces brutes de la bûche, leurs corps massifs, les cris rauques qu’ils émettaient au moment de l’impact de leurs instruments sur le bois; tout ça me faisait penser à une question que m’avait posé ma copine, la veille, quand je lui avais annoncé que je quitterais l’appartement quelques jours, pour lire une cinquantaine de lettres manuscrites. Elle m’avait demandé comment elle pourrait me rejoindre, en cas d’urgence, et je lui avais répondu qu’elle ne devait pas me materner, m’oppresser à ce point, que j’étais un mâle et que j’avais besoin de m’évader par moments, pour reprendre conscience des choses mâles, comme la nature et la solitude. Je lui avais même cité Hank Williams et Led Zeppelin, vantant les mérites du
rambling man, du bûcheron, du colon. Néanmoins, après avoir concédé que je resterais au Cat Penis Pines Inn, à Lincoln, au New Hampshire, je peux affirmer avec certitude que toute la crédibilité de mon entreprise s’est volatilisée.

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Richard vient nous rejoindre alors qu'on est passablement ivres, boit une bière et finit par demander au barman tout bonnement, d'où vient le nom de l'hôtel. Le barman n'est pas trop sûr, il sort quelque chose à propos d'une légende amérindienne, je me dois de l'interrompre parce que je la connais, l'origine du nom:

- Non non non. C'est George Caldwell, écoutez-moi. C’est que le gars quitte sa famille, OK? Style victorien, un
renaissance man, à la Ben Franklin, mais avant-gardiste, en quelque part. Je suis pas trop sûr des dates. Tu vois la patente, OK? Il voyage peut-être cinquante jours, peut-être plus. Il fait pas de cheval parce qu’il déteste ça. Il dit que ça lui donne des crampes mais moi, je soupçonne que c’est l'odeur qu'il aime pas. Tu peux voir par sa façon d'écrire des f majuscules pis des k majuscules, que le gars est un proto-TOC, tsé, maniaque. Pis il écrit des longues lettres pompeuses à sa femme au sujet de son arrivée ici. Il parle de sauvages, d'extase, de ce que tu voudras. Il dit - je sais pas si je vais l'avoir comme il faut - il dit: I laughed in their faces, Margie, their beautiful Man faces! Il s'émerveille pis il pisse dans ses culottes quand il arrive ici devant les arbres avec les conifères qui lui rappellent, comme si c'était quelque chose qu'on voit souvent dans la vie, en tout cas moi, jamais vu ça sauf sur photo, mais encore là fallait me convaincre que - malgré quelque chose qui me dit que c'est clairement lubrique comme protubérance - que c'était ce que ça disait que c'était pis pas une sorte de verrue dans un scalp ou je sais pas. Il voit les arbres pis il écrit à sa femme, il dit "Margie, dagnabit! these here trees, they reminded me of fucking kitty, quoi, des pénis de chat, sacrament!"

2 commentaires:

Clarence L'inspecteur a dit...

Ahhhh!!! Avec en plus une déformation du sens et du texte à travers les âges.

Tellement.

Patty a dit...

Hahaha! T'as bien catché le rebond comme on dit au basket :D