"Cormac McCarthy écrit que 'les cicatrices ont l'étrange pouvoir de nous rappeler que notre passé est réel'. C'est là une excellente représentation de ce que l'on trouve souvent dans le roman américain: les traces du passé ne sont pas nécessairement liées aux évènements, mais elles sont des repères de tensions qui ont marqué le pays et que les auteurs présentent comme des moments épiphaniques, des questions posées à la conscience historique." (Jean-François Chassay, Fils, lignes, réseaux, 1999, p. 13)
2007 aura été une année bien spéciale pour le cinéma américain. Ce film d'Andrew Dominik est un peu resté dans l'ombre de deux autres monstres masculins parus la même année : "No Country for Old Men" et "There Will Be Blood". C'est assez particulier parce que "The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford" constitue une parfaite synthèse des deux. On y retrouve les archétypes western du film des Coen, et les tensions insupportables de celui d'Anderson. La trame sonore de ce dernier est de Johnny Greenwood, celle du film de Dominik est de Nick Cave. Les meurtres sordides et graphiques de Jesse James rappellent ceux du psychopathe dans "No Country..." C'est d'ailleurs Roger Deakins qui assure la direction photo dans les deux western (faut voir sa feuille de route, c'est incroyable). Le film d'Anderson a une facture historique qui prend maintenant toute la place dans "The Assassination..."
Voilà ce qui m'intéresse surtout : Dominik se donne le mandat de corriger (ou de revoir) l'histoire. Le titre lui-même semble insister sur la lâcheté de Robert Ford : il rappelle ces titres de légendes américaines qui demeuraient toujours très platement factuels ("How Mike Fink Beat Davy Crockett in a Shooting Match", "How Daniel Boone Found His Wife", "How Paul Bunyan Cleared North Dakota", etc.). Jesse James était un monstre, et il a été tué par un lâche. Dès le départ, une narration déballe un texte qui résume la carrière de Jesse James, ce criminel notoire des États-Unis de la frontière (PBS offre une description assez horrible de certains de ses crimes durant la Guerre civile ici). C'est assez étrange d'entendre cette voix-off factuelle et documentaire (la même que dans le trailer) entre des scènes dont l'intensité a tout de l'artifice ou de la fiction du cinéma hollywoodien habituel. Mais encore là, le visuel n'a rien d'habituel. Il est distordu : on voit l'histoire à travers cette lunette, en espèce de vision de tunnel, qui donne un effet de réel troublant.
Dominik semble interroger l'histoire dans tout ce qu'elle a d'anti-épique (Max, c'est à toi que je parle!). Il aplatit le mythe et le résultat n'est pas moins enlevant.
C'est un film à voir, si vous avez aimé les deux autres. Brad Pitt est fidèle à lui-même et Casey Affleck vole le show dans le rôle de Robert Ford (quelle ostie de crapule).
4 commentaires:
Et je te recommande fortement le bouquin original de Ron Hansen. Tu y retrouveras cet espèce de narrateur froid et désengagé. Superbe écriture. C'est dur et ciselé comme des roches de la vallée de la mort.
Anti-épique, j'haïs pas ça comme idée.
Faire le sujet principal de ce que de «grands» hommes avaient de banal, ou exposer des faits choquants - ou simplement d'une extrême platitude - qui ont, pour des raisons fort compréhensibles politiquement, été écartés de la mémoire vivante.
J'aurais bien envie de continuer ce message. Je vais écrire des nouvelles.
Ou, bien entendu, revenir sur des événements désormais bien établis dans notre connaissance au point qu'ils constituent une part énorme de notre sentiment d'être, mais en éliminant le biais qui est l'origine même de cette identité...
Ça me fait penser à la fameuse nouvelle de guerre de Jarman dont je cite un extrait sur mon blog: le glorieux biais historique est remplacé par le biais, radicalement individuel, d'un jeune soldat canadien-français qui à chaque seconde craint concrètement pour sa vie.
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