2.9.09

Le Bébé, Marie Darrieussecq

Le bébé est enveloppé de discours épais comme les langues, il est ainsi l'objet le plus mineur qui soit pour la littérature. Laissé aux femmes, donc - "baby" est leur petit nom - et celles qui entendent écrire vraiment se tiennent prudemment à distance.
"Bébé", disent les publicitaires, certaines puéricultrices, les psychologues de magazine, les manuels pour parents : "Et comment va bébé? Bébé a bien mangé? Et maman, pas trop fatiguée?" L'absence d'article est comme certains tutoiements, un chantage à l'intimité, et un mépris de la pensée. Les vêtements pour bébés sont infestés de lapins, chats, canards et chiens-chiens, une ménagerie puérile au seul usage des parents (l'intérêt du bébé pour ses frusques se résume en bave ou vomi). Aller plus loin dans la démonstration me semble superflu : la baratte est connue, qui mouline l'adulte en enfant inoffensif, sexuellement neutre et consommateur. La résistance commence par le maintien de l'article : le bébé.
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J'écris pour définir, pour décrire des ensembles, pour mettre à jour les liens : c'est mathématiques. J'écris pour renouveler la langue, pour fourbir les mots comme on frotte des cuivres - le bébé, la mère : entendre un son plus clair.

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