
Je suis en train de lire Images malgré tout de Didi-Huberman (Éd. de Minuit, 2003), un essai troublant sur le rapport entre l'image et l'histoire, entre la photo et le témoignage, entre l'acte de mémoire et la communauté.
En bref, Didi-Huberman s'intéresse à quatre photographies prises clandestinement en août 1944 au crématoire V à Auschwitz. On y voit – pas très clairement – des femmes poussées vers la chambre à gaz et la crémation des corps dans les fosses d'incinération. On sait aujourd'hui que pour réussir à prendre la séquence, le photographe a dû se cacher dans la chambre à gaz. Ce sont quatre photos extrêmement troublantes, à la fois témoins uniques de l'horreur et « instants de vérité » (Arendt) qui surgissent dans l'histoire.
Il n'existe aucune autre image du processus d'extermination à Auschwitz. Un individu anonyme a réussi à arracher quatre vues à cet enfer. Le projet n'était pas anodin : en photographiant la solution finale, on pouvait garder une trace de l'inimaginable, on s'assurait d'une mémoire. C'est un geste du survivant. Plusieurs prisonniers ont réalisé ce genre d'acte de résistance en cachant, dans les cendres autour des crématoires, des notes explicatives, des cheveux, des dents : toutes des formes de témoignages, de traces palpables. Pour bien saisir l'importance de ces quatre photographies, il faut comprendre qu'une partie de l'horreur, pour les prisonniers, résidait dans l'idée que tout le projet soit maintenu dans un secret absolu et qu'on détruise les preuves après leur mort. C'est exactement l'argument négationniste cité par Jean-François Lyotard : « Pour identifier qu'un local est une chambre à gaz, je n'accepte comme témoin qu'une victime de cette chambre à gaz ; or il ne doit y avoir, selon mon adversaire, de victime que morte, sinon cette chambre à gaz ne serait pas ce qu'il prétend ; il n'y a donc pas de chambre à gaz. » (Le Différend, Paris, Minuit, 1983, p. 16-17)
L'essai ne porte pas tant sur l'acte de résistance héroïque que peuvent constituer ces quatre photographies, que sur la possibilité du témoignage dans les camps, son énonciation malgré tout. Comment penser une iconographie impensable?
1 commentaire:
C'est LA grande question de l'histoire de l'art...Et l'éternel problématique de Didi-Huberman! ;)
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