On parlait, Bock et moi, de l’équilibre entre un narrateur marqué par une voix et un narrateur accessoire. Une famille en ski de fond nous a croisés, le petit garçon - du moins, j'ai deviné qu'il s'agissait d'un petit garçon, de par sa tuque du Canadien, mais je me sens bien ambivalent devant ce stéréotype: d'une part, je me trouve rempli de préjugés dans la mesure où une tuque d'une équipe sportive ne dit rien sur l'identité sexuelle d'un enfant; d'autre part, je me console dans l'idée que si le préjugé est en fait une réalité, au moins la moitié de la population enfantine n'a pas à se cacher derrière le logo d'une équipe qui a de la misère à donner même quarante minutes d'effort. Le petit garçon, donc, avait l'air de détester son expérience. La discussion entre Bock et moi était née la veille, alors qu’il m’annonçait qu’il avait enfin lu tel ouvrage que bien du monde, voire le champ littéraire au grand complet, lui avait conseillé de lire. Phénomène assez angoissant, si vous voulez mon avis, qui survient quand tu ne lis pas les journaux trop souvent, et que tu n'écoutes qu'un minimum de télé d'information culturelle, et que l'urgence de lire, ou plutôt d'avoir lu un livre est tellement grande qu'elle paraît omniprésente, dans l'air comme le vent ou la neige. Ledit ouvrage avait été apprécié par pas mal tout le monde autour de nous, y compris Bock et moi. En gros, notre discussion découlait d'un seul problème. Ça concernait le style de l'auteur. On avait l'impression que dans ses moments plus faibles, l'auteur employait des périphrases qui, à mon sens, devenaient criardes et freinaient carrément la lecture. Je trouvais, par ailleurs, que ces moments faibles me paraissaient presque charmant de par l'humanité qu'ils révélaient: on en venait à reconnaître les limites du talent de l'auteur. Et ça nous a amenés à discuter, ce matin, en joggant dans un pouce de poudreuse, des mauvais plis qu'il nous arrive de prendre en écrivant et surtout de nos choix de narrateurs. Mon ami se demandait comment seraient reçus les choix de narrateurs qu'il avait faits dans un recueil à paraître à la fin de l'hiver et j'ai suggéré que certains gens ne sont tout simplement pas aussi sensibles que nous à ces choses-là, que certains lecteurs ne s'intéressent qu'aux thématiques et moins au traitement formel. On parlait de ça en longeant une partie de la rivière des Prairies qui était apparemment assez gelée pour que deux gars - me revoilà parti dans les stéréotypes - deux individus, dis-je, s'y aventurent pour percer des trous et pêcher. J'y repense et je trouve que mon idée d'un lecteur moins sensible au narrateur est complètement farfelue: ce lecteur n'existe pas. Ce qui existe, par contre, c'est un auteur qui s'intéresse moins à ces questions de style. L'auteur dont Bock avait enfin lu l'oeuvre présentait une faiblesse, à mon avis, dans ces moments où il semblait tout simplement arrêter de se soucier de marquer son narrateur d'une voix précise: c'était là qu'il nous servait des circonlocutions plus ou moins pertinentes qui semblaient répondre à un désir bizarre de voir toujours plus de syllabes s'enchaîner - comme si de remplacer une idée par l'addition de trois idées connexes faisait plus stylistique, était plus littéraire. En rentrant chez moi, après avoir secoué les pépites de calcium de mes semelles pour éviter de les ajouter aux quelques centaines de cailloux de calcium qui recouvrent notre plancher d'appartement depuis le début de l'hiver, je me suis dit que le réel danger, c'était de faire de son narrateur un accessoire.
Incipits actualisés #1
Il y a 14 ans
1 commentaire:
ouep
Publier un commentaire