16.3.08

Musique auratique: "Love Is a Mixtape" de Rob Sheffield


Random House vient de sortir en paperback le roman autobiographique de Rob Sheffield, un journaliste de Rolling Stone. On y lit comment il rencontre Renée, comment ils se marient à 25 ans, comment elle meurt subitement à 31 ans, d'une embolie pulmonaire, et comment il survit - à coups de mixtapes. À travers 15 chapitres, suivant 15 de ses compilations préférées, on suit l'épopée de ce fan fini de musique pop. Ça part avec les Beatles et une version de 90 minutes de "Hey Jude", et ça déboule dans tous les sens, de Jordy ("Dur, dur d'être un bébé"), à Thurston Moore (chanteur de Sonic Youth - voir vidéo ci-joint), en passant par Missy Elliot. Grosso modo, on constate deux choses de ce livre: qu'il s'en est fait de la mauvaise musique dans les années 90, et que la musique pop américaine constitue une mythologie en constante expansion.

Le titre m'a attiré, j'avais lu quelques critiques extatiques, maintenant que je l'ai lu, je suis un peu mitigé. Il y a des passages géniaux là-dedans, d'autres qui sont trop anecdotiques. En somme, pour être pas fin, je dirais qu'il n'y a rien ici que Nick Hornby n'a pas déjà fait dans High Fidelity. Et même dans Songbook, qui était plus un essai sur la pop qu'un récit. C'est pas gentil à dire parce que Sheffield se vide les tripes dans ce livre et c'est extrêmement touchant. En fait, je le recommande à tous ceux qui, comme moi, aiment faire semblant que la musique qu'ils écoutent parle d'eux-mêmes.

Mais pour revenir à la mythologie, tu réalises comment l'imaginaire américain, et ça s'étend jusqu'ici évidemment, est lourd de vedettes et d'anecdotes pop. Il n'y a pas un moment du récit de Sheffield qui ne soit pas accompagné d'une comparaison soit à une situation similaire au cinéma hollywoodien ou dans l'histoire populaire américaine du vingtième siècle. En fait, plutôt que d'aller dans les artifices littéraires, les figures de style, le vocabulaire pointu, ce roman est traversé presque exclusivement par la pop. À un point tel que c'en est souvent frustrant. Je ne suis pas le plus ignares des consommateurs de pop, mais j'avoue qu'entre Ava Gardner, Rita Hayworth et Jane Russell, dans mon imaginaire du début vingt-et-unième siècle, ça renvoie pas mal au même référent: une déesse hollywoodienne quelconque. J'ose croire que pour la majorité des gens, le pouvoir évocateur de ce référent est relativement limité. Surtout quand, dans le chapitre précédent, on mentionnait l'alignement de l'équipe All-Star de la Ligue Nationale de Baseball en 1997 (Jose Canseco et Mo Vaughn sont les deux seuls qui ne sont pas complètement inexistants dans ma tête). Et, dans le chapitre suivant, on y va avec la description d'un obscur band punk rock féministe de Los Angeles. Ben, pour Sheffield, parce que ça lui appartient entièrement en tant que mélomane, cinéphile et what-you-will, toute cette érudition agit selon un système complexe, une hiérarchie arbitraire et très finement ajustée à une culture infiniment riche.

En fait, chaque mention dans ce roman, chaque clin d'oeil à ce qui se passait musicalement dans cette époque, pour ne toucher qu'à la musique, porte une aura. Je pourrais être littéraire ici, et élaborer sur les théories de Walter Benjamin et de George Didi-Huberman sur les figures auratiques, mais je pense qu'on comprend simplement ce qu'aura veut dire. Pour être grossier: ça brille, ça illumine, ça nous allume. Tu lis les mots "Charlie" et "Parker" dans un texte de Jack Kerouac, ces mots occupent plus d'espace que les autres autour, dans la mesure où tu connais la musique, la vie de Charlie Parker.

Mais Love Is a Mixtape force l'aura en plaçant dès le début du chapitre la playlist du mixtape dont il sera question. Ça ne se veut pas littéraire du tout comme texte, mais j'peux quand même pas m'empêcher de le lire comme ça (j'ai pas fait trois ans de bacc et une session et demie de maîtrise en littérature pour faire semblant de lire comme une cruche). Mais messemble que malgré l'aura forcée, la musique pop prend une place mythique dans le récit que ce texte propose.

D'abord, parlant de mythologie, ça pue le Jésus cette affaire-là: c'est rempli d'Églises. Quand ils ont un nouvel appart, c'est en face de telle Église Baptiste, à quelques minutes de telle autre Église Catholique Protestante (same difference, man). Au début, on passe tout un chapitre au camp religieux ou le jeune Sheffield a passé son été à servir la messe avec des curés qui ressemblaient plus à des membres de The Grateful Dead. On ne parle que très peu de foi, mais le commentaire reste valable: ça pue le Jésus.

Dans cette mythologie pop, Sheffield fait intervenir trois déités: Hank Williams, Notorious B.I.G et, bien sûr, Kurt Cobain. Tout le chapitre qu'il consacre à l'été de la mort de Cobain est d'ailleurs un des moments forts du roman. Il fait une lecture assez étonnante de la prestation unplugged qui jouait en boucle la semaine de sa mort sur MTV. Alors que les gens autour de lui y voyaient un portrait d'un gars prêt à mourir ("Ready To Die", comme tout fan de hip hop sait, était le titre du dernier album de Notorious B.I.G.), il y voit d'abord un mari qui chante "About a Girl" ("a groom singing 'I do' over and over" p.129) et qui se transforme en un petit garçon complètement terrorisé, pas du tout prêt à mourir: "I hear a scruffy sloppy guitar boy trying to sing his life. I hear a teenage Jesus superstar on the radio with a song about a sunbeam, a song about a girl, flushed with the romance of punk rock. I hear the noise in his voice, and I hear a boy trying to scare the darkness away." p. 130.

Parce qu'il est tard et que ça s'en vient long mon affaire, je coupe ça court en encourageant d'autres à pousser la réflexion. La pop et sa mythologie, les déités de la Génération X, etc. Love Is a Mixtape: Life and Loss, One Song at a Time est un bon livre, sensible et drôle et touchant et, surtout, pop à l'os.

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