22.5.09

Réflexion

Je suis fan d'Eels depuis le primaire et mes projets d'écriture (le mémoire comme l'éventuel roman) me font m'intéresser de plus en plus à ces théories de la physique quantique qui dépassent notre logique habituelle, dont toute tentative de compréhension (autre que mathématique) devient une preuve des limites de la perception et du langage : je trouve que le travail d'écriture, de narration, réaliste devient d'autant plus complexe quand on se met à s'intéresser à ces idées. Ce documentaire sur Mark Everett, chanteur du groupe indie rock américain Eels et fils de Hugh Everett, le père-fondateur de la théorie des univers parallèles, est disponible au complet, en 6 ou 7 parties, sur YouTube. C'est crissement intéressant et parfois touchant.



J'ai aussi mis ici un extrait d'un texte qui, je crois, pourrait se trouver en quelque part dans mon roman :

Là où la plupart des gens font erreur, en ce qui concerne la théorie des univers multiples, c’est quand ils se mettent à parler de leurs doubles comme étant réels, comme étant des cousins distants qu’ils n’ont jamais rencontrés. Ils essaient d’être empathiques, de s’imaginer cette personne exactement identitique à eux, faisant la même chose qu’eux, exactement en même temps. Ils voient un être humain exactement comme eux, comme dans un film, revivre l’événement qu’ils vivent à l’instant, en simultané. Ils pensent que cette personne-là serait sans doute curieuse de les rencontrer, que ça doit être drôle. Ça devient forcément inconcevable, parce qu’ils leur donnent une valeur morale, une existence humaine, alors que leur propre imagination ne peut à peine les voir en tant que concepts. C’est complètement con. À Cowansville, il y avait un restaurant de spécialité bernoise, dont les serveuses suisses-allemandes avaient toutes un grain de beauté de la taille d’un cloporte en quelque part sur le visage ou dans le cou – c’était à croire qu’elles s’échangeaient le même grain de beauté en se croisant dans la cuisine avant de retourner sur le plancher, comme une espèce de gimmick de resto que le gérant les obligeait à honorer : j’imagine le moment où l’une d’entre elles aurait oublié de ramasser le grain de beauté et tout le désastre qui s’en suivrait, les mœurs fragiles réagissant comme si elles avaient vu un de ses seins, les habitués tout à coup désillusionnés. Il n’y avait qu’une seule toilette dont les murs étaient recouverts d’immenses miroirs. À gauche, à droite, en avant, en arrière : tu t’installais pour pisser entouré de miroirs. Il faut voir les multiples – les infiniment multiples – doubles comme toutes ces réflexions de soi dans la toilette du Chalet Bernois de Cowansville; l’univers comme étant dans une grande pièce ayant une quantité infinie de murs, de plafonds et de planchers, tous recouverts de miroirs – une sorte de boule disco géante introvertie. Les gens se trompent en accordant à ces individus réfléchis une valeur humaine, alors que la façon la plus simple d’arriver à même entrevoir la possibilité d’une théorie des univers multiples, c’est d’être le pire égocentrique, un nombriliste existentiel, et de les imaginer comme autant de petits Monsieur Playmobil, les bras durs et les mains en forme de C, comme s’ils tenaient tous un hamburger invisible, les genoux et l’âme absents. Parce que ça devient vraiment déroutant au moment où on comprend que chacune de ces réflexions d’univers contient au moins une personne qui conçoit son propre univers comme étant au centre d’une pièce ayant une quantité infinie de murs, de planchers et de plafonds, recouverts de miroirs et toute la patente; et que sur un de ces murs, sur une des couches de réflexions, il y a notre univers à nous. On est finalement tous le double de quelqu’un, et à plus forte raison, d’une quantité infinie de quelques uns. Mais l’unique façon d’être en paix avec le concept, de s’assurer que le réel reste réaliste, c’est de mettre sa moralité de côté et d’en revenir au bon vieil anthropocentrisme des premiers temps. Et puis, tout ça, c’est sans même mentionner l’idée que, dans cette théorie, les univers infiniment multiples et identitiques viennent avec une quantité infinie et infiniment multipliée d’univers non-identiques. Vivement la catastrophe, qu’on en finisse avec toute cette complexité, j’ai mal au céphal.

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Se rencontreront peut-être un jour les serveuses à cloportes et Borges dans un de ces mondes parallèles, et tout ce beau monde rira bien de ces innombrables moments que je perds en ligne, cliquant maladivement à la recherche de nouveaux mots que quelques amis, quelques connaissances ou quelques purs inconnus pourraient avoir lancés dans l'abîme du cyberespace.
Mot de passe: unbri

Alexie M a dit...

J'ai pas écouté le vidéo. Mais est-ce qu'on parle pas plutôt d'une multiplication de potentiels plutôt que d'une multiplication de matière ?

William a dit...

AL: Ben, comme tu le sais bien, je ne suis pas expert en la matière. Par contre, de ce que j'ai lu et entendu (il y a ces podcasts gratuits sur iTunes d'une émission magnifique intitulée WNYC's Radio Lab qui offrent toutes sortes d'entrevues et reportages sur des sujets comme celui-ci, dont une qui s'appelle "The (Multi) Universe(s)".), je peux te dire qu'en ce qui concerne Hugh Everett, sa théorie touche effectivement la multiplication des potentiels, comme quoi, grossièrement, tout phénomène pouvant se produire de multiples manières se produit simultanément de ces multiples manières. C'est lié à cette idée en physique quantique que tout est une question de probabilités, etc.

Ce texte-ci, mettant en scène un narrateur qui, on l'aura compris, n'est pas un scientifique, offre plutôt une lecture de certaines théories sur la nature (la taille) de l'univers: si on suit cette théorie voulant que la taille de l'univers est infinie (théorie proposée notamment dans cet épisode de Radio Lab que je viens de nommer) ça veut dire que les chances de trouver un univers exactement pareil que le nôtre sont également infinies... C'est expliqué foule-bâtardement ici, mais l'essentiel de mon texte est moins de rendre compte de ces théories de façon extrêmement précise que de soulever les tensions que de telles théories soulèvent dans l'entendement humain, dans notre conception pragmatique, concrète de l'expérience et du réel. Souvent, le simple name-dropping des titres d'articles sur le sujet permet de rendre compte d'assez d'incompréhension pour t'enfler tout un roman à thèse...

Merci pour cette rectification!