9.2.10

Abandonner la continuité de l'histoire.


"(...) la possibilité de produire et de multiplier les images offre l'une des formes les plus étranges de la répétition. Notre monde, surpeuplé d'images, nous fait cohabiter avec des foules de fantômes et douter de l'homogénéité de notre temps." (Sylviane Agacinski, Le passeur de temps. Modernité et nostalgie, p. 17)
Le projet à la base de La mémoire des anges (Luc Bourdon, 2008) s'inscrit déjà dans un questionnement sur l'archive : pourquoi tourner? Pourquoi ne pas utiliser les rushes déjà existants, ces milliers de chutes d'images conservées, comme un nouveau matériel? Peut-on créer un nouveau récit avec de l'usagé, tout en évitant la nostalgie ou la simple citation?
J'ai été renversée par la modernité qui se dégage du film de Bourdon. Le réalisateur arrive à subvertir l'archive pour faire entrer l'image dans un "grand mouvement du monde". Parce que ce qui surprend ici, c'est le dynamisme, l'impulsion de la ville. Cette énergie est créée par l'assemblage de 120 films peu connus réalisés entre 1947 et 1967 de la collection de l'ONF (c'était le défi). Par assemblage, Bourdon révèle le "sens commun", une sorte de récit fondateur de la ville de Montréal. Les films se répondent entre eux, construisant sous nos yeux un grand mouvement d'automobiles, de trains, de sports, mais aussi - et surtout - de foules, d'enfants, de regards.
La scène finale est particulièrement déroutante : alors qu'on a assisté à l'entrée progressive de Montréal dans la modernité (qui passe par la construction d'infrastructures et la destruction de plusieurs icônes de "l'Ancien Régime", dont le quartier du Faubourg à Mélasse), le temps semble s'arrêter une dernière fois. Collé à des images de la construction de l'échangeur Turcot et de la place Ville-Marie, Jean Drapeau vante la beauté de sa ville et l'importance des méga-structures. Et puis tout à coup, ce qui a été détruit revient - pour un instant seulement - à la vie : une séquence sourde nous laisse entrevoir les cours arrières des Habitations Jeanne-Mance, où des enfants jouent dans des bacs à sable, sous les cordes à linge. Un bébé traîne dans les escaliers. Un homme passe avec son chien. Ces dernières images sont d'autant plus émotives qu'elles n'appartiennent pas à la collection officielle de l'ONF, mais ont été retrouvées dans les archives personnelles d'un monteur de Norman McLaren. Ce sont des fragments, des fins de bobines anonymes et jamais utilisées.
Vous pouvez visionner la bande-annonce ici.

5 commentaires:

Alexie M a dit...

Qui est cette femme ? C'est celle qui a écrit ton exergue ? Elle est magnifique...

Catherine a dit...

Depuis hier je cherche et je ne me souviens pas où je l'ai vu... Au cinéma ONF probablement...

Anne a dit...

C'est une image tirée de La mémoire des anges... qui vient d'un film de l'ONF qui s'appelle "Caroline", je crois. Je vais essayer de retrouver le titre exact. C'est fou comme elle est belle, hein?

Anonyme a dit...

J'adore ton titre.

Il serait intéressant de faire le même exercice avec des archives écrites, une sorte de montage d'extraits qui montrerait l'étrange simultanéité de ce qui se passe dans la diachronie; un genre de consécution de faits éloignés dans le temps qui ont des effets qui paraissent pourtant immédiats. Je suis même convaincu qu'on pourrait trouver des effets qui précéderaient leur propres causes, preuve d'un temps cyclique aux révolutions aléatoires.

Dominique a dit...

On peut également visionner le film gratuitement sur le site de onf.ca