26.2.10

Incroyable


1. Il existe une tendance au bureau qui fait que certaines personnes frappent à la porte des gens puis ouvrent en disant "toc! toc!", comme si le geste - dont l'unique but, rappelons-le, est de faire un bruit qui retiendra l'attention de la personne de l'autre côté de la porte, geste qui est universellement reconnu comme la signification polie d'une volonté de pénétrer un espace délimité - n'avait pas suffi, certains gens ici préfèrent prendre des précautions supplémentaires en matière de politesse et de respect du territoire d'autrui en verbalisant le son qu'ils viennent de produire. Être une coche plus polis, ils frapperaient à la porte, l'ouvriraient et décriraient en détails la façon dont ils ont procédé pour provoquer le son de quelqu'un qui frappe à une porte. Ils cogneraient et diraient quelque chose comme "je viens de cogner à ta porte, c'était assez facile, j'ai juste levé la main, que j'avais préalablement formé en une sorte de poing mou en laissant un peu d'espace entre mes doigts et ma paume, pour ensuite la laisser s'abattre une première fois sur le centre de ta porte, là où ça résonne le plus. J'ai pris bien soin d'orienter mon poing de sorte qu'une jointure de mon majeur frappe en premier la paroi de bois."

2. Ce qui rend la routine si difficile à assumer, la plupart du temps, ce n'est pas tant l'idée de l'aliénation qui nous guette perpétuellement mais les constantes interruptions que nous imposent les gens qui ne devraient rester que périphériques à cette même routine. Je dis ça parce que je suis sorti de la station Vendôme aujourd'hui en trouvant fascinant qu'après toutes les téléséries, films, romans, blogs, etc., mettant en scène de près ou de loin les aléas des transports en commun, je constate qu'il existe encore des usagers du métro pour se placer tout près des portes - devant les portes - à l'intérieur du wagon et s'étonner que d'autres gens plus au fond voudront éventuellement sortir. Pire encore, ils semblent être surpris que ces mêmes usagers voudront sortir du wagon dans une autre station que la leur, les obligeant à sortir de la bulle confortable du iPod ou du roman pour lancer un "scusez" soit trop mou ou trop fort - on peut imaginer les différents degrés d'intensité du questionnement qui s'ensuit généralement chez les gens plus timides en grimpant les marches de la station, à savoir s'ils auraient dû mieux moduler le ton ou le débit de leur "scusez".

3. Cet homme à la tache de vin vendait L'Itinéraire cet été, mais maintenant, il vend un journal imprimé sur du papier 8 1/2 par 11 intitulé Le Vagabond et je me demande si ce changement a quelque chose à voir avec le fait qu'il disait plutôt L'INtinéraire. J'imagine facilement les gens des ressources humaines demander à l'homme à la tache de vin de bien vouloir prononcer correctement le nom de leur revue, à défaut de quoi ils seraient dans l'obligation de le congédier. Je vois l'homme bloquer longtemps sur le L, affichant un sourire involontaire et plissant les yeux. S'il a finalement dû se rabattre sur Le Vagabond, je devine qu'il n'a pas réussi à combler les attentes des responsables des ressources humaines de son ancien employeur. Il me fait penser au bonhomme à la sortie de la station Square-Victoria qui distribue le 24 Heures en marmonnant toujours le même son, chaque fois qu'il tend un journal vers les gens qui émergent du Montréal sous-terrain. Je crois qu'il dit "Vingt-quatre heures", mais c'est tellement mâché que ça sonne comme "Incroyable". C'est donc assez inquiétant de se faire tendre un journal avec la promesse nonchalante et marmonnée que son contenu sera "incroyable", surtout quand le camelot répète sa promesse avec le même détachement au moins huit fois par minute: "Incroyable... Incroyable... Incroyable... Incroyable... Incroyable... Incroyable."

4 commentaires:

Steed Colliss a dit...

1: C'est encore pire avec des cubicules où il n'y a pas de porte et que les gens frappent quand même et disent toc toc... Le summum est la réponse du type à l'intérieur disant que la porte est fermée, plutôt que d'avoir mis une feuille à l'entrée demandant de ne pas déranger, s'il-vous-plaît...

Anonyme a dit...

Je vous lance un défi: durant une heure complète, on explique à haute voix tout ce qu'on fait au fur et à mesure.
Normalement, on devrait aboutir à dire qu'on est en train de dire qu'on est en train de dire qu'on est en train de dire qu'on est en train de dire quelque ce qu'on est en train de dire.

Mon oeil cligne tout seul.

Catherine a dit...

3. Savais-tu qu'il faisait aussi le Père Noël le 24 décembre? Le Monsieur à la tache de vin, je veux dire.

オテモヤン a dit...
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