4.3.10


Serge Tisseron, théoricien français qui s'intéresse depuis vingt ans aux relations que nous établissons avec les images, a écrit quelque chose de très intéressant sur les photos de condamnés à mort :
Face à cette image, nous nous disons ''Cet homme est mort'' et ''Cet homme va mourir". Le fait que l'événement mis en scène dans la photographie (...) soit la mort d'un homme n'est certainement pas étranger au caractère intense de l'indécision qui nous saisit face à elle. (Le mystère de la chambre claire, 49-50)
Je suis un peu obsédée par cette "double temporalité" de cette photo du Falling Man de Richard Drew et de l'angoisse qu'elle me procure. Au centre de l'image, un homme qui est en train de mourir, oui, mais si la photo est arrivée jusqu'à moi, c'est qu'il est nécessairement déjà mort. La photo m'attire irrémédiablement vers le bas, donc vers la mort. Elle en est entièrement imprégnée, résonne de toutes parts du grand fracas des corps qui tombent des tours. Ce que je vois, ici, c'est l'horreur humaine qui me semble à son paroxysme. Ce qui me frappe, ce n'est pas tant le sacrifice, le martyr, mais l'homme qui devient tout simplement un lemming, qui fuit de la façon la plus radicale possible les poutres d'acier qui se tordent sous l'effet de la chaleur.

Mais au plan esthétique, il me semble qu'il existe une certaine contradiction entre ce que représente la photographie - un homme en train de mourir - et l'espèce de de paix un peu inquiétante qui s'en dégage. Devant l'arrangement tordu du corps, je ne sais pas trop où me positionner. Les mains derrières le dos de l'homme, la jambe repliée, la botte noire, la verticalité parfaite des lignes et du corps : l'image m'apparaît étrangement esthétique, mise en scène.

2 commentaires:

Clarence L'inspecteur a dit...

Cette photo est captivante. J'aime bien cet épithète, on dirait qu'il est neutre en termes d'appréciation esthétique et extrême en termes de réaction instinctive.

J'ai ressenti un sentiment similaire il y a peu de temps en regardant cette photo à la une de La Presse qui montrait le lugeur "en train" d'avoir son accident. C'est ce "en train" qui me perturbe et me fascine, dans la pose (pause) photographique, ce moment éternel où l'homme n'est pas "encore" mort, mais que ça ne saurait tarder.

http://www.corsematin.com/edito/photo/510/20100213/afp-photo-240176.jpg

(Anne, excellent texte, soit dit en passant)

Anonyme a dit...

Que nous fait cette photo si on la regarde après une rotation de 90 ou 180 degrés? Elle devient Sleeping man, ou Running man?
Étrange mort en effet.

max