9.4.10

8249 228, inc.


Au premier étage de mon lieu de travail, une compagnie sans nom loue des locaux. Elle n'a pas de nom, mais elle est assez importante comme locataire pour que la compagnie qui gère l'immeuble lui réserve une plaque sur laquelle on peut lire quelque chose comme "8249 228, inc." à la droite de la porte principale. En fait, j'imagine que c'est ça, son nom. Très souvent, dehors, quand je passe devant le bâtiment, la même employée se tient, seule ou avec quelques-uns de ses collègues, à côté du cendrier. Ils fument et parlent en anglais, puis je les vois se diriger vers leurs locaux en même temps, avant 9h00. Bon vieux 8249 228, inc., on repart la machine, une autre journée, une autre piasse.

Une de mes collègues m'a dit qu'elle pensait qu'il s'agissait d'une compagnie de télémarketing, que les propriétaires n'ont sûrement que recopié les chiffres de leur numéro d'enregistrement dans une institution gouvernementale quelconque (genre leur numéro de TPS ou de TVQ). J'envisage bien la chose, mais je me dis qu'il faut être paresseux en crisse pour nommer sa compagnie seulement avec des chiffres. Même
le cabinet d'avocats au deuxième étage a opté pour un nom atroce plutôt que de se contenter de prendre la suite de chiffres sur leur licence à la Régie des rentes.

J'obsède sur les activités de cette entreprise numérique depuis que j'ai pris conscience de son nom. C'est tellement
Being John Malkovich. Puis, j'ai entendu cet épisode de TAL dans lequel, vers la 15ème minute, l'artiste David Black appelle des gens en se faisant passer pour Satan. Ça donne lieu à des discussions étranges dans lesquelles Black se met à harceler les pauvres gens qu'il appelle en répétant "You are not afraid" et en les questionnant au sujet de leurs superstitions ("Are you superstitious about the number 3? 3, 3, 3... 13.").


++++


Il faut voir Monique comme une femme nerveuse dans la cinquantaine qui achète son rosé à l'épicerie, qui conduit une fourgonnette blanche et qui n'a jamais fait la vaisselle sans une paire de gants. Ses cheveux courts, sa taille de poire, ses sandales, ses jupes-culottes: on connaît tous Monique. On peut tous deviner ses habitudes de consommation, ses manies, sa pudeur, sa candeur. Ça va.

Aujourd'hui, Monique a salué le soleil 4 fois avant de partir sa journée. En gros, il faut voir la journée de Monique comme celle de n'importe quelle femme qu'on imagine qui achète son rosé à l'épicerie, qui conduit un fourgonnette blanche, etc. Son fils de 26 ans dort sur le divan du sous-sol quand elle répond au téléphone, vers 16h15.

"Allô?"
"..."
"Oui?"
"Bonjour, acceptez-vous un appel à frais virés de la part de... crrllk... SATAN! ... crrllk?"
"Ah ben, oui."
"..."
"Ah ben, salut ma belle Chantal! Ça fait longtemps."
"Bonjour Monique, c'est pas Chantal, c'est Satan."
"Ah, OK. Ah ben, bonjour!... Eh, je pensais que vous étiez ma belle-soeur Chantal!"
"Es-tu toute seule, Monique?"
"Non, y a Pierre-Carl dans le sous-sol, voulez-vous lui parler?"
"Non, non, c'est parfait. C'est à toi que je veux parler. Qu'est-ce que tu fais?"
"Rien, euh, je prépare une salade de radis."
"Aimes-tu les radis, Monique?"
"Oui, ben autant que possible, là. Est-ce que... Je vais devoir raccrocher, là."
"Les radis, Monique, c'est un légume important pour toi? Me croirais-tu si je te disais que le radis est le premier légume qui est servi quand t'arrives en enfer?"
"Oui oui, c'est... oui."
"Prie avec moi, Monique."
"Non, merci."
"Prie avec moi, laisse-moi te réciter une prière, allez Monique."
"J'aime mieux pas, merci. Faut que je finisse de faire à souper."
"Répète après moi: Seigneur des ténèbres..."
"Non, merci."
"Quand viendra ton grand jour..."
"Quand viendra... Non. Je suis pas vraiment intéressée, là."
"Est-ce que je peux venir chez toi, Monique?"
"Ben, c'est que Pierre-Carl dort, pis Gilles devrait rentrer d'une minute à l'autre. Une autre fois, OK?"
"Demain, alors?"
"Oh, ça regarde mal, demain. C'est euh, le recyclage. Faut tout trier, hen? C'est pas une bonne idée. J'aimerais raccrocher, là."
"Crois-tu en Dieu, Monique?"
"Moi? Oui oui, là. Dieu, la Sainte-Trinité, Jésus."
"Alors, tu devrais pas avoir peur. As-tu peur?"
"J'aimerais vraiment raccrocher, là. Merci, bye."
"Monique, t'es damnée."
"Euh, hen? Comment ça se fait?... Ah, je raccroche là."
"T'es damnée, c'est comme ça."
"Bye."

3 commentaires:

Steed Colliss a dit...

Faudrait faire une recherche dans Cidreq avec ce numéro-là... Ça dirait qui est président, actionnaire majoritaire, adresse et tout le tralala...

William a dit...

haha, en effet. Malheureusement, je me souviens pas du numéro exact.




"Steed Colliss", ça sonne drôlement comme un nom de joueur de hockey, ça. ;)

Clarence L'inspecteur a dit...

J'adore qu'elle réponde toujours aux questions avant de signifier son désir de raccrocher. C'est vraiment Monique ça. Je la size bien.