3.5.10

"Faith For Faith's Sake"


Coban, Guatemala
19 septembre 2008


Je n'avais aucune idée de la richesse potentielle d'un lobby d'hôtel. Celui de la Casa d'Acuna donne sur la terrasse d'un restaurant plutôt huppé contrastant quelque peu avec le niveau de vie qu'impliquent les chambres louées ici. Alors qu'Anne faisait sa sieste quotidienne - le rythme au Guatemala est résolument chill -, j'ai eu droit dans le salon du lobby à une discussion des plus divertissante sur la foi chrétienne et son rapport à toute autre croyance. La conversation avait lieu dans la pièce voisine, et le niveau de langage, les tournures intellectualisantes-gauchisantes des quatre touristes américains dans ce que je devinais être la cinquantaine (un mur nous séparant, je ne les voyais pas) me donnaient l'impression d'entendre quelques lignes d'un scénario de film de Robert Altman. Ce plan d'ensemble - la discussion derrière le mur, vers la droite; la musique jazz émergeant de la terrasse, vers la gauche; les rires et les bruits habituels du fond d'un restaurant; la pluie soudaine sur la cour intérieure; cet homme assis devant moi feuilletant le Pensa Libre - tout ça me rappelle le cinéma d'Altman. Ou bien je pense à Raymond Carver et son univers. Les deux artistes excellent dans l'art de la conversation, nous plaçant toujours dans la position de l'observateur passif, on devient une sorte de microphone plus ou moins objectif.

Ici, les gens s'interrogent sur la pertinence du baptême. Du moins, c'est où ils en sont quand j'arrive dans la pièce voisine pour me replonger dans L'élégance du hérisson, un livre assez "dialogique" en soi. Après quelques minutes, on en est à questionner le créationnisme:

- If He was so almighty, why did He need a day to rest?
- He didn't need a day to rest, He decided to rest.

Si je me fie aux voix, la femme qui parle du nez avec un léger accent du sud est la plus croyante de tous les quatre. Elle parle de Dieu comme d'un coach qu'on défendrait devant des coéquipiers frustrés ou sceptiques. Un des hommes a une voix très grasse, un peu rauque, laissant deviner un surplus de poids - les mots semblent lui sortir de la bouche comme de la pâte à dent sort d'un tube - et il semble être le modérateur du groupe, remerciant ses amis d'avoir l'ouverture d'esprit permettant une telle discussion. Les deux autres, un homme et une femme, alimentent l'échange avec leur spiritualité laïque quelconque.

Tout à coup, le Lac des cygnes remplace le jazz et traverse la terrasse. Comme un souffle mystique balayant les âmes, le ton animé de la discussion diminue drastiquement, les camps se confondent et on atteint presque un silence consensuel. Puis, la reprise d'une musique moins grandiose - une balade française des années 1930 ou 1940 - laisse croire qu'ils ont tout simplement repris leur souffle.

- So you're saying there is no spirituality without the Bible?
- No, that's not what I'm saying.

Je trouve tout ça très intéressant, certes, mais je ne peux m'empêcher de penser que cette même conversation m'aurait semblé tellement insupportable si j'avais été assis à la table voisine. Le mur nous séparant me permet le détachement du voyeur - du voyageur, devrais-je dire. Je suis The Man of the Crowd de Poe, suivant à distance un homme mystérieux qui m'échappe constamment à travers les ruelles d'une ville inconnue.

C'est sublime. C'est le voyage!

4 commentaires:

Esquimaude a dit...

J'ai pas vraiment lu le billet encore, je l'avoue, j'ai seulement accroché sur L'élégance du hérisson. As-tu aimé ça? J'approche de la fin et je sais pas encore ce que j'en pense, à part que parfois, j'ai l'impression que l'auteure nous étale sa culture parce qu'elle a voulu faire un "livre marquant qui fait réfléchir"... Et ça m'énerve. Pourtant, je continue.

William a dit...

J'ai eu le sentiment d'être la première victime d'une "pulsion didactique" de l'auteure qui m'est apparue, à ce moment-là dans notre voyage, comme une sorte de Josée DiStasio de la littérature. J'ai pas du tout aimé.

Je me souviens qu'au Guat., juste avant de lire ça, on venait de faire quelques rencontres avec des voyageurs français plutôt chiants, qui se sentaient visiblement investis d'une mission de vulgarisation totale: s'ils n'étaient pas en train de nous expliquer comment agencer le vin au repas approprié, ils expliquaient à Anne le fonctionnement d'une otite. C'était assez ridicule.

On a ensuite rencontré un franc-maçon suisse avec qui on s'est payé leur gueule.

Esquimaude a dit...

Hahaha! Josée di Stasio de la littérature, c'est en plein ça! Elles semblent d'ailleurs connaître la même popularité...

Clarence L'inspecteur a dit...

C'est un très beau billet, ça, Will. Et il me semble que ça ferait un beau sujet à TAL... Overheard conversations on God, from Portland to Cheyenne.