16.11.10

En reprise: MERCREDI DES CENDRES : Elvis Perkins, John Hawkes & T.S. Eliot

Publié le 6.3.08, sur T'N'S


C'est magique, le ton. J'ai trouvé une copie de The Lime Twig de John Hawkes (1961), auteur proto-postmoderne américain (whatever that means), à $4,50 au Cheap Thrills, il y a deux semaines. Entre mes piles de lecture pour la maîtrise, j'essaie de lire des choses moindrement intéressantes. Et ce qui m'arrive beaucoup ces temps-ci, c'est de jouer au lecteur hyperactif. Je ramasse une phrase d'un texte, je lui trouve une qualité quelconque et je pars la machine.

Situé en Angleterre, le roman de Hawkes commence avec les incendies provoqués par le bombardement de Londres en 1940. La narration s'amorce avec une série de questions: "Have you ever let lodgings in the winter? Was there a bed kept waiting, a corner room kept waiting for a gentleman? Have you ever hung a cardboard in the window and, just out of view yourself, watched to see which man would stop and read the hand-lettering on your sign [...]?" Le narrateur et protagoniste du récit, William Hencher, poursuit en proposant que le lecteur a déjà été lui-même un chambreur, errant dans la ville: "And you followed the moonlit girls. Or followed a woman carrying a market sack, or followed a slow bus high as a house with a saint's stone shadow on its side and smoke coming out from between the tires."

Ensuite, ce n'est plus "peut-être", c'est "sans doute avez-vous mangé avec vos doigts." On devient tranquillement le locataire, et on fait les rues sombres à la recherche d'une chambre. On se souvient des chambres froides, des odeurs, de la neige sur le bord des fenêtres, le goût de l'agneau dans une chambre dans laquelle on s'est pris la tête entre les mains toute une nuit.

Enfin, Hencher s'avère être le réel chambreur, avec sa mère qui mourra dans l'incendie d'un des bâtiments dans lequel il nous proposait de rester tantôt : "All those rooms--number twenty-eight, the one the incendiaries burned on Ash Wednesday, the final cubicle that had iron shutters with nymphs and swans and leaves--all those rooms were vacancies in which you started growing fat or first found yourself writing to the lady in the Post about salting breast of chicken or sherrying eggs." Du "peut-être" au "sans doute" au "réel", de "quelqu'un" à "nous" à "lui"; le narrateur part du même endroit que le lecteur, tend les mêmes perches. C'est un procédé ingénieux, même si ça ne dure que quelque pages, et ça coule très bien avec les ellipses de Hawkes.

Maintenant, la machine est partie. Déjà dans l'intensité du non-dit, de l'ambiguïté narrative de Hawkes, je sentais une similitude de ton avec l'écriture de T.S. Eliot. C'est peut-être juste le fait que ma copie de The Lime Twig et des Selected Poems d'Eliot sont pratiquement pareilles : l'encre et le papier vieilli ont la même odeur, la même texture, les mêmes couleurs, et la typo est exactement la même dans les deux livres. Mais, quand Hawkes écrit "Ash Wednesday", avant même de penser au premier jour du carême, je pense au poème de T.S. Eliot du même nom. "Because I do not hope to turn again/Because I do not hope [...]" Le ton, c'est magique. Après les mots, qui font des liens automatiques, lisses et compréhensibles, le ton les unit.

Un autre "Ash Wednesday" tout aussi dans le ton se trouve sur la pochette du premier album d'Elvis Perkins. Je l'ai découvert il y a un an et demi, à peu près en même temps que j'ai rencontré Anne-Marie. Comme William Hencher, Perkins a perdu sa mère dans un bâtiment en feu. C'était le mardi du 11 septembre 2001. L'album est traversé par la même désillusion que les oeuvres de Hawkes et d'Eliot. Et la chanson-spirale qui ouvre l'opus, "While You Were Sleeping", me rappelle beaucoup l'hésitation du début de The Lime Twig

1 commentaire:

William a dit...

C'est un peu de la tricherie, ou antibloguesque, mais je relis des trucs ici et je suis tenté de les republier juste parce que je les trouve bons...

Fait longtemps que j'ai pas publié qqch d'aussi cohérent ici. Je tâcherai donc de m'y remettre, c'est une sorte de défi que je m'engage à relever. Gaston Lepage, oû es-tu?