7.10.11

La télégénie, l'extroversion et leur inéquation


 Un gars se dit qu'une émission comme Opération séduction, sur V, pourrait facilement faire l'objet d'études anthropologiques sérieuses aujourd'hui ou dans quelques décennies. Ç'a déjà été fait, traiter d'un élément de la culture pop à travers la lorgnette de la culture savante. Les dangers du voyeurisme ou de la complaisance ont tous été explorés aussi dans ce type de pratique. Il reste qu'en écoutant, en fin de soirée, des épisodes d'OS avec sa blonde, après avoir passé une partie de la journée à démêler les théories de figures marquantes des cultural studies (marxistes, postmodernistes et autres, de Walter Benjamin à Fredric Jameson en passant par Raymond Williams -- name-dropping, y'all), un gars constate des affaires. Surtout, il constate qu'il se considère, en quelque sorte, malgré lui, à juste titre ou non, comme un expert du médium. Pour le dire simplement, il voit les ficelles. Et j'irai jusqu'à dire que ça le rassure dans sa position de "consommateur-penseur" du médium.

Par son format "agence de rencontre" hyperpublique, où les candidats ne doivent pas user de stratégies comme dans les autres téléréalités, où au contraire leur sincérité est cruciale, une émission comme OS (et Célibataires recherchés, sa contrepartie du Canal Vie) expose au grand jour certains problèmes liés aux adjectifs utilisés pour parler de soi. En l'occurrence, l'extroversion d'une personne est parfois niée par ce qui semble être le choc de l'expérience télévisuelle. Ou plutôt, on constate que si, pour plusieurs, quelqu'un qui se décrit comme étant extroverti devrait donner un bon show, la réalité de l'expérience télévisuelle démontre qu'un bon show (la télégénie, donc) a peu à voir avec l'extroversion, et que cette dernière n'est pas garante de télégénie.

Tout ça pour dire que quand Martine, la dernière candidate d'OS, se décrit comme étant une fille extrovertie (donc communicative, confiante, expressive) un gars ne doute pas de sa sincérité à priori. Quand il entend son frère la définir comme une étincelle dans un 5 à 7, un gars le croit. Mais après ses trois premières rencontres avec d'autres célibataires désireux de se matcher devant des milliers d'auditeurs, un gars ressent quelque chose comme de la pitié envers cette pauvre fille qui se dit extrovertie mais qui, immanquablement, laisse planer de longs silences et refuse systématiquement de parler d'elle-même aux prétendants. Puis un gars se dit que ça n'a rien à voir avec l'extroversion (fictive ou non) de la candidate, mais que c'est plutôt lié au fait que l'extroversion à la télévision est une toute autre affaire.

Martine est peut-être le feu d'artifice du 5 à 7, c'est l'oeil outrepuissant de la caméra qui la tétanise. Un gars se dit ça, en tout cas.

8 commentaires:

Simon Brousseau a dit...

Je lance comme ça quelques idées que me sont passées par la tête en lisant ton texte. Je suis assez intrigué par cette émission que j'ai découverte cette semaine...

C'est fascinant, le rapport "Je dois avoir l'air naturel devant la caméra" / "Je suis TOTALEMENT conscient du fait que je dois avoir l'air naturel et que cet air naturel n'est rien d'autre qu'un artifice".

J'avoue qu'il y a quelque chose qui me dépasse avec ce type d'émission dont le but, pour les participants, est de se révéler à l'autre et d'apprendre à le connaître. Mettons.

On peut se demander comment une telle chose est possible devant une caméra.

Évidemment, c'est un show, et le Show se fout bien de la relation réelle entre les deux individus.

Mais ces gens-là, qui n'ont pas l'air particulièrement mal à l'aise devant une caméra... et qui sont seuls, et qui cherchent l'âme soeur... Qu'est-ce qui se passe dans leur tête ?

Le cas de Martine est doublement intéressant, d'abord parce qu'elle semble être dans le déni quant à sa timidité, mais aussi parce qu'elle est la seule qui résiste à la situation dans laquelle elle s'est elle-même placée.

Au fond, peut-être qu'elle n'est pas si plate que ça. Elle a juste l'air vraiment self-conscious, et elle se rend compte, Live, que les gars qui sont là sont des ti-counes qui n'ont pas peur de la caméra. En fait, ces gars-là jouent à la perfection le rôle de l'homme qui cherche à séduire sa tite-bonne-femme. Martine est coincée : soit elle joue la game et elle a l'air un peu nounoune, soit elle se referme et c'est l'émission qui devient plate.

En fait non, la télé n'est jamais "plate"... Pour le spectateur, ça devient juste fascinant d'observer une Martine qui ne respecte pas les règles du jeu. On n'en sort pas.

Ton texte me fait penser à E UNIBUS PLURAM de DFW où il est question de cette "self-conscious appearance of unself-consciousness" des acteurs professionnels.

Peut-être que Martine ne tripe pas sur les gars qu'elle rencontre parce qu'ils sont trop bons devant la caméra. C'est louche.

D'une certaine façon, les gars que Martine rencontre illustrent une idée de DFW : La télé veut nous faire croire que c'est encore plus l'fun de vivre dans la télé que devant la télé.

Patty a dit...

"on constate que si, pour plusieurs, quelqu'un qui se décrit comme étant extroverti devrait donner un bon show, la réalité de l'expérience télévisuelle démontre qu'un bon show (la télégénie, donc) a peu à voir avec l'extroversion, et que cette dernière n'est pas garante de télégénie."

Je suis entièrement d'accord, je veux dire, c'est la première chose qu'on remarque, il me semble, lorsqu'on consomme de la téléréalité. L'intrigue n'est pas dans l'histoire, mais dans le "personnage" qui, à cause qu'il a du mal à se révéler, se révèle encore plus. En tant que spectatrice, ce sont les failles que je cherche dans de telles émissions, ce sont elles qui touchent une vérité dans la télé-réalité...C'est pour cela que ça devient "addictive" (je parle pour moi).

William a dit...

Simon: "En fait non, la télé n'est jamais "plate"... Pour le spectateur, ça devient juste fascinant d'observer une Martine qui ne respecte pas les règles du jeu. On n'en sort pas."

C'est une affirmation relativement audacieuse, dans le sens où c'est vrai que la télé "plate" n'existe pas pour le spectateur qui se positionne plus ou moins systématiquement en "penseur" du médium. C'est d'ailleurs ce qui nous fait sourciller quand on lit des trucs antitélé qui fondent leur argument sur l'aliénation du téléspectateur, son asservissement, sa passivité, etc. Je crois que le spectateur "passif/contemplatif" est de moins en moins fréquent. L'essai de DFW propose un peu ça, aussi. Je suis content que ce petit texte t'ait interpelé, pcq j'ai l'impression que ça parle, en toute modestie, de notre époque. Je connais des gens (Max et Alexie, en l'occurrence) qui ne peuvent pas (ou que très peu) visionner de films parce qu'ils sont constamment en train de voir apparaître les structures narratives. Dans une certaine mesure, on fait tous un peu ces déductions, mais pour certains, ça crée trop de bruit. Pour d'autres, ça fait désormais partie du divertissement.

William a dit...

Patty: Par contre, je ne crois pas qu'il s'agisse d'un trait qui s'applique à TOUTE la téléréalité. La sympathie qui est suscitée par certains candidats d'une émission comme OS est liée, selon moi, à l'impératif de pseudo-sincérité dans le jeu. C'est du Candid-camera élaboré.


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D'ailleurs, est-ce que je suis seul à trouver bon nombre des Gags de Juste pour rire profondément cyniques? Genre attirer qqn à aider une personne âgée à traverser la rue pour le niaiser sous l'oeil secret d'une caméra cachée, ça me paraît tellement douteux. Je trouve qu'à jouer ainsi avec la bonne volonté des gens, on fragilise le tissu social à petites doses... (!)

Anne a dit...

Simon, tu soulèves des choses hyper intéressantes. Le cas de Martine est tellement fascinant! Au-delà de la posture "auto-réflexive" du participant qui fait tourner à vide le mécanisme de la télé-réalité, je me questionne vraiment sur la SINCÉRITÉ possible en télé. J'imagine que Martine n'est pas la première à être self-conscious, mais dans mon cas c'est la première fois que j'assiste à un sabotage si évident du concept (il y a bien eu Sébastien "Machiavélique" Tremblay de Loft Story 4 qui parlait aux caméras la nuit, c'est vrai.) Combien d'émissions de ce genre misent encore sur un premier degré? Je ne peux pas m'empêcher de penser à ce qui s'en vient en télévision, avec des partipants conscients de ce qui les précèdent, conscients de la trame narrative et du concept...

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Cette discussion me confirme qu'il faut - nous, la génération qui a grandit avec la télé, mais qui a un rapport ambigü avec le médium, qui réfléchit plus au fond qu'à la forme - écrire plus sur la télé et déclasser Pierre Barrette de sa place d'unique spécialiste québécois du médium télévisuel sur toutes les plateformes. Je veux dire, quel est le rapport de vos parents avec la télé? Ça me semble complètement différent de la position de "penseur du médium" : les miens ne la remettent pas en question, c'est un bruit de fond, un divertissement. Quand je parle à mon père d'une émission comme OS, il ne peut pas concevoir que j'arrive à écouter de la trash télé seulement parce que c'est aussi fascinant que mauvais.

Patty a dit...

William : je ne comprends pas trop ce que tu veux dire, mais c'est pas grave, ça arrive ;)

Il me semble, par ailleurs, que cette conscience "télévisuelle" dont vous parlez est beaucoup moins une question de génération qu'une question de domaine et de niveau d'études(Je connais beaucoup de gens de mon âge pour qui c'est un simple divertissement, la télé) et qu'elle apparaît primordiale à l'heure actuelle pour plein de raisons qui, elles, on à voir avec "notre époque".

Je ne pense pas, par ailleurs, que ceux qui réfléchissent sur la construction sémiotique (dans mon vocabulaire) de la télévision sont moins "aliénés" que les autres...Au contraire, on prend souvent des évidences pour des révélations et, au bout du compte, on se divertit plus qu'autre chose, non?

Bah, mon opinion selon mon expérience bien personnelle de la téléréalité et de mes discussions avec des intellos qui parlent de téléréalité... :D

William a dit...

Anne: Tu vois, pour moi, le "Machiavélique" Sébastien (que je n'ai vu qu'une seule fois dans un seul épisode, faut le dire), ne joue pas sur le même plan que les candidats d'OS. Il fait preuve d'une stratégie qui est certes déroutante dans le contexte du jeu télévisuel, mais il devient lui-même un manipulateur de l'artifice. OS ne comporte pas d'enjeu assez important pour que ses candidats usent d'autoréflexivité ou de stratégies du genre.

Anne a dit...

Je suis d'accord que Martine d'OS et Sébastien du Loft ne jouent pas sur le même plan... comme tu le soulignes, les producteurs du Loft peuvent saliver de voir un participant tirer sur les ficelles/parler à la caméra/se mettre tout le monde à dos/mettre le feu au Loft... name it, plus tu tentes de sortir de la trame, plus tu donnes du gaz à la machine. Alors que dans le cas d'une émission qui mise uniquement sur la sincérité de ses participants, cette autoréflexivité problématique vient brouiller les cartes.

Anyway, Martine a invité sa meilleure amie pour la fin de semaine au spa.