20.9.11

Diptyque contestataire mou


Pour donner suite à l'invitation de mon ami Clarence L'inspecteur, invitation qui de toute évidence a fait fureur sur la blogosphère, voici un diptyque mollement réac' de poèmes écrits au tout début de mon bacc en études littéraires à l'UQAM. À ce moment-là, je n'écrivais pas beaucoup de prose, j'avais déjà eu l'ambition d'écrire une fresque romanesque située en Espagne du 18e siècle au cégep, mais j'avais abandonné le projet en même temps que l'ordi de marde sur lequel je l'écrivais. J'écrivais surtout des chansons (qui, soit dit en passant, n'étaient pas ben ben meilleures que ce qui suit), et un ami qui était entré en études littéraires un an avant moi m'avait expliqué que le vrai fun, dans ce programme, c'était dans les ateliers de création qu'on le trouvait. Alors, moi qui ne lisait absolument aucune poésie, encore moins de la poésie contemporaine (j'en lis pas beaucoup plus aujourd'hui, faut dire), j'ai sauté sur le premier atelier à ma portée, soit celui de poésie offert par René Lapierre. J'y ai fait d'importantes rencontres dont une a donné naissance à une amitié qui se porte encore très bien aujourd'hui et qui, à plus forte raison, m'a permis un jour de connaître Anne-Marie (the rest is history). Bref, dans la génèse de William S. Messier (l'homme, l'auteur, le post-facteur), ce premier atelier de poésie est primordial. Je dis bien primordial pour tout ce qui ne concerne pas l'écriture. Parce que, bâtard, je plains la poignée de gens talentueux qui ont dû se taper mes poèmes rimés (disparus des archives, hélas) en début de session.

Comme je suis un déchiqueteur compulsif, j'ai tendance à ne garder que très peu de vieux textes, alors j'ai été un peu triste de constater que de cet atelier de poésie mythique (du moins dans ma tête), je n'ai que très peu de traces. Voici deux rescapés. Deux variations autour du même thème (que je décrirais comme "anticonformisse-fuck-la-sociéter-man" agrémenté d'un petit humour qui laissait tout de même entrevoir le petit cabotin que je deviendrais - je crois que l'écriture du premier des deux textes coïncide avec ma découverte des Trois Accords). Il faut me voir comme un dude qui écoutait trop de Tryo et de Jack Johnson, émergeant tout juste de sa phase tout-Harmonium. Oubliez les influences littéraires, y en avait pas.

Dans le premier tableau du diptyque, notez les parenthèses et la tabulations qui n'ont pas de grande fonction à part de faire fancy-nancy en maudit. Dans le second, remarquez l'influence générale d'OK Computer, que je n'en finissais plus de redécouvrir, à l'époque.

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Le déjeuner de l'ananarchiste

Mon ambition fermente là,
Sur le comptoir de mélamine marbrée qui donne sur la fenêtre de la cuisine;
Dans un pot de fromage crémeux, texturé
(Résultat d’un long procédé chimique de gastronomie capitaliste,
Des visées culinaires d’un Chef Boyardee prostitué).

Mon ambition, c’est cette substance aromatisée que je ne saurais définir
(Mon manque de science oblige), d’un orange étrangement orangé,
Dans un pot de vitre bien identifié, froid et rigide.

Elle est ces Registered Trademarks et ces présentations suggérées.
Elle est internationale, consommable et génère de la salive.
On la vend à l’unité, en emballages séparés, ou en format-club.

Parfois elle vient avec la chance
(Parce qu’ici la chance aussi est marchandise)

De gagner un véhicule motorisé beige, à motifs carottés.
Si on gagnait, mon ambition et moi, on partirait
En voyage, en croisade touristique, en odyssée récréative,
Dans les confins de la fiscalité évasive;
Où poussent les mangues et les ananas,
Où les cannes d’ananas pré-tranchés tombent des arbres
Comme des rondelles de roller-hockey.
On embarquerait les voyageurs solitaires se trouvant sur notre parcours,
Del Monte, Monsanto et autres joyeux compagnons
Qui nous chanteraient au ukulélé le récit de leur périple périlleux.

Mon ambition, je l’étend sur un muffin anglais grillé.
J’en ai rien à chier, de mon ambition.
Maintenant, j’dois aller travailler.


Congé Pascal
J’ai connu un gars qui est né à Pâques;
Depuis, on l’appelle Pascal.

C’est un cadre.
Cheveux propres et lustrés,
L’envie d’uriner, la nervosité;
Il cadre.
Sa cravate lui pend au cou comme à une branche.
Pauvre imbécile.
À coups de dix heures et quart par jour,
Trois cent quarante-cinq jours par année;
Un juste équilibre de stress et d’ennui,
Un semi-détaché à moitié payé.
À Brossard.

Dans son Durango,
Envahi par des échantillonnages, des vêtements, du carton, des cartables,
De la musique parfaitement générale;
Suzanne, ou Corinne,
Ou peu importe,
Fait briller sa paillette aux éclats des lampadaires.

«Feeling lonely? Need company

Leurs plans pour le long week-end:
Les Cantons-de-l’est.
Cinq cent billets pour elle,
Pour la fin de semaine;
Chalet, spa, bains islandais ou norvégien,
Ou peu importe.
Le quatre par quatre crache un peu.
Pascal,
La corde au cou,
La cravate en l’air,
Cadre.

3 commentaires:

Clarence L'inspecteur a dit...

Dans le déjeuner de l'ananarchiste, il manque juste l'insigne casher pour mettre réellement le feu aux poudres.

Eille, je les trouve bon moi ces poèmes. J'adore le "orange étrangement orangé", et le bungalow à Brossard, bien évidemment.

William a dit...

Ouais, je pense que l'insigne casher, c'était un peu trop engagé à mon goût, je préférais m'en tenir aux gros clichés et écrire le mot "capitaliste" dans mes poèmes.

Anne a dit...

Hugues Corriveau m'a déjà écrit, en commentaire d'un travail : "Sens de la poésie revendicatrice, mais il faut savoir que c'est EN SOI une limite à la poésie."

On enregistre, William.