11.9.11

La surprise


 On observe, dans les comptes-rendus ou critiques suivant la rentrée littéraire, un drôle de concept qui passe pas mal inaperçu: la surprise. Ou, peut-être plus précisément, la surprise d'être surpris. Je lisais ce matin la chronique de Chantal Guy, qui offrait un aperçu critique - par le moyen d'une anecdote fort intéressante sur la toponymie au Québec - d'Arvida, le recueil d'histoires de Samuel Archibald, publié au Quartanier cet automne. J'aime habituellement les billets de Guy, elle me semble être une lectrice très sensible, et sa lecture du livre d'Archibald - dont je n'ai lu que deux nouvelles, à date - ne fait sûrement pas exception. Or, la chroniqueuse de La Presse décrit l'oeuvre comme étant "une des plus belles surprises de la rentrée", et je me demande sincèrement où est la surprise. Qui est surpris? et de quoi?

Entendons-nous, c'est tout à fait positif comme qualificatif; on veut que nos oeuvres se trouvent toujours toutes parmi les surprises de leurs rentrées respectives, mais la question demeure: qu'y a-t-il de surprenant? Au risque d'avoir l'air de vouloir m'acharner sur le discours portant sur la littérature au Québec - je viens quand même de publier une parodie d'idée d'article sur l'importance du calembour dans les titres d'émissions littéraires de la Première chaîne -, j'aimerais tenter d'y voir clair.

Je me dis que ça s'explique peut-être par le fait que la surprise (l'oeuvre) en question provient parfois d'un(e) auteur(e) jusqu'ici inconnu(e). Je pense notamment au gros succès de l'année dernière, L'homme blanc de Perrine Leblanc (aussi au Quartanier), qualifié de "belle surprise" de part et d'autre. Ou encore au livre d'Archibald qui est qualifié de surprise de la rentrée à peine une semaine après sa parution, alors que l'auteur, à ce que je sache, n'avait encore rien publié en fiction avant Arvida. Au contraire d'une "découverte", une surprise laisse sous-entendre des appréhensions ou un scepticisme quelconque. Donc, décrire une oeuvre comme étant une "surprise", c'est dire qu'elle a fait tomber ces appréhensions, non? C'est dire, aussi, qu'on s'attend normalement à ce qu'une première oeuvre n'arrive pas à les faire tomber?

Dans ce cas, c'est méchant pour les autres oeuvres de cette rentrée, qu'elles fassent l'objet d'une toute première publication ou qu'elles constituent le dernier poulain d'un Jacques du même nom (par exemple). En annonçant telle parution comme une surprise, qu'est-ce que ça dit du reste? Ces autres oeuvres ont-elles confirmé les appréhensions, donné raison au scepticisme pour autant? En d'autres mots, ne devrait-on pas vouloir seulement des surprises dans une rentrée littéraire? Excusez ma candeur, mais la surprise ne devrait-elle pas être la norme, ici?

J'ai l'impression de capoter un peu pour rien. Comme je l'ai dit, ce phénomène passe inaperçu, ce n'est peut-être pas si important. Mais je suis sincèrement intrigué par ce concept de surprise. Le verbe surprendre peut vouloir dire "étonner par une chose inattendue, frapper", et aussi "prendre au dépourvu, arriver de façon inattendue". Je repasse des scénarios possibles de lecture et je me dis qu'il faut vraiment être blasé ou de mauvaise foi pour que, dans l'étendue des degrés d'appréciation possible, un critique n'ait pas prévu être emballé. Je me mets à la place du critique: "J'ai reçu une pile de livres qui devaient sortir sur les tablettes en septembre, j'en ai lu quelques-uns. Certains d'entre eux m'ont surpris. Ils étaient bons. Ils étaient bons alors que je m'y attendais pas."

En fait, la voilà, la clé: si je me mets dans la peau d'un critique littéraire, j'imagine recevoir un tas de livres que je n'aurais pas nécessairement achetés en librairie et mon employeur me paie pour que j'en fasse la critique. Même si on me paie essentiellement pour lire des livres et en parler, il faut reconnaître que ça doit être difficile par moments. Sur le tas, les livres qui m'interpellent personnellement doivent tellement détonner (par ma simple individualité, pas nécessairement parce que ces livres sont bons) qu'ils doivent effectivement "surprendre". Dans le day-to-day, la cuisine de la chose, par le simple volume de lecture anticipé, je me dis que le critique doit se mettre à voir noir et que la pile de livres à lire, si ciblés soient les services de presse, doit parfois rappeler un dépotoir. En ce sens, un livre qu'on aime peut surprendre, comme un diamant dans un dépotoir, disons.

On comprend donc pourquoi tel chroniqueur ou tel critique s'avoue parfois "surpris" par un titre ou qualifie ce titre de "surprise de la rentrée". Il reste que la surprise surprend. Peut-être qu'elle s'inscrit plutôt dans un non-dit entre le critique et son lecteur, et que la pile de livres à lire du critique est sensiblement la même que celle des livres "qu'il faut lire cette année" du lecteur assommé par ce concept décadent d'une "rentrée littéraire". Qu'un critique se dise surpris représente alors peut-être indirectement un gros clin d'oeil cynique entre gens de lettres: le dépotoir, le diamant.

Au risque de paraître un peu fâché (je suis tout à fait serein, c'est mon tube de l'été qui joue, dans le bureau, montez le volume), je termine en disant ceci: de toute façon, pensez-y, je suis convaincu que dans n'importe quel dépotoir, il y en a à la pelletée, des diamants.

Aucun commentaire: