22.5.10

Deuxième de couverture no 15: Temps zéro (Calvino)

Parce que maintenant, les larmes de la Lune étaient devenues très nombreuses, et elles s'étendaient vers la Terre à la façon de tentacules visqueux, et chacun semblait sur le point de verser à son tour une matière à base de gélatine, poils, bave et moisi. (p. 14)

J'avais très peu lu Italo Calvino, j'en avais surtout entendu (sur TAL, qui insère régulièrement des lectures de nouvelles littéraires de tout plein d'auteurs dans le cadre d'un épisode), et c'est le choc entre la réalité et la fiction qui m'a happé dans Temps zéro (1967). Des images bouleversantes d'un réel décalé, parallèle, d'un autre temps, ces nouvelles (peut-on parler de "chroniques"? de "récits"?) se situent souvent dans des lieux connus (New Jersey, New York, etc.). Surtout, on remarque un réel influencé par la science, des descriptions phénoménologiques, matérialistes (je ne suis pas certain de bien employer ce terme ici) où les tours à bureaux sont littéralement de gigantesques cristaux, où la Lune fond et dégoute sur la Terre. Par moments, je trouve les idées tellement bonnes que je dois déposer le livre pour imaginer ce qui se passe - il faut dire que l'écriture ultracérébrale ne nous permet pas de nous laisser porter par le flot.

21.5.10

Hustle

Entre dans sa tête, suis son pouls, colle à ses chaussures, traîne dans ses bobettes, dans le plus chaud de son haleine, fonce dessus, fixe son sternum, les yeux sur le numéro, la balle en périphérie, tu ne la regardes qu’avec le blanc de tes oculaires, tes boules à perceptions, bouge les bras, pointe pointe pointe, les mains raides d’un karatéka, colle ton homme jusqu’à ce que vos sueurs se mélangent et deviennent une super-sueur, jusqu’à ce que les glandes qui produisent cette sueur fusionnent et que la couleur de vos sucs gastriques s’agence et que votre souffle soit le même, que ton arrière-goût de pâtes au beurre devienne plutôt son arrière-goût de viande fumée et vice versa, dirige-le dans la trappe, protège ton panier, une main au visage, crie “balle! balle! balle!” dès qu’il s’arrête, fréquente sa sœur, grimpe-lui dans la face, qu’il lise toute ta fureur sur les plis de la peau sur ton front comme dans le sanskrit d’une Upanishad ténébreuse, vole son identité, mime ses mouvements, kidnappe son iguane, juge ses parents, hustle, hustle, hustle.

Pour le pire.


Mon séjour à Cannes se termine demain matin et j'en arrive au beau décompte de 23 films visionnés, dont 2 films en compétition et 10 films dans la sélection Un certain regard. J'aurais beaucoup de choses à dire sur les excellents films que j'ai pu découvrir ici (je vais vous achaler toute l'année avec ça, quand un nouveau film sortira en salles au Québec) et j'écrirai probablement des critiques plus longues en vue de les faire publier. Mais, pour l'instant, je voulais vous laisser avec un petit palmarès des pires horreurs vues à Cannes pendant les derniers 10 jours.

Simon Werner a disparu... de Fabrice GOBERT (France, 91 minutes)
En banlieue parisienne, un adolescent sans histoire disparait mystérieusement. On retrouve des traces de sang dans le laboratoire de chimie. Quelques jours plus tard, deux de ses copains de classe disparaissent à leur tour. Fugue? Enlèvement? Suicide? Nouvel épisode des Intrépides? Le héros du film, Jérémie, a dans tous les cas, des petits airs de Lorànt Deutsch avec son p'tit coat de jeans et son allure décontract'. Ce film est une torture mentale et le critique de l'Express qui l'a comparé à Elephant mérite une mort lente et douloureuse. Si on essait bien de reproduire une structure en pivots (où on se fait raconter la même histoire de différents points de vue), le résultat est peu probant, chaque scène étant entourée de mystère (ouh!), de suspense (ah!) et de frenchs d'adolescents aux rôles trop typés.

O Estranho Caso de Angelica de Manuel DE OLIVEIRA (Portugal, 94 minutes)
Un jeune photographe est appelé d'urgence par une riche famille portugaise pour faire le dernier portrait de leur fille, Angelica. Isaac tombe en amour avec le cadavre. Isaac hallucine le fantôme et crie ANGELIIIIIIIIICA partout dans la ville.
Bon, j'ai appris après la représentation que Manuel de Oliveira aura 102 ans dans quelques mois et qu'il est donc le réalisateur actif le plus âgé à participer au Festival. Bravo pour le record, mais ce film est tellement pénible à regarder - tant au plan technique et scénaristique - que je me sens mal à l'aise d'en parler*. Dans la salle, pendant le film, il n'y avait pas trop de malaise pourtant : tout le monde dormait. Je donne la palme d'or du commentaire sur ce film à Frédéric Beigbeder, en entrevue à la télé de Cannes : "ça dure un an!".

*Limite, je préfère nettement un Jean-Luc Godard, qui à 80 ans (c'est quand même 22 ans de moins qu'Oliveira!), semble vraiment tripper tout seul à faire des films incompréhensibles et étranges. Les gens avouent d'emblée que Film Socialisme, c'est n'importe quoi... mais un n'importe quoi qui tente quelque chose!

R U There de David VERBEEK (Pays-Bas, 87 minutes)
Film de gamers qui enlève le goût de vivre, R U There remporte certainement le prix du personnage principal le plus détestable. Le film raconte l'histoire enlevante de Jitze, un joueur professionnel de jeux vidéos qui tombe amoureux d'une femme à Taipei. Sauf que Jitze ne peut s'approcher de son kick à cause de ses lacunes sociales. Il finit donc par la payer pour la suivre chez ses parents et se faire masser. Le film est constitué en grande partie de séquence de jeux vidéos de guerre et d'images de Second Life, si bien que j'ai décroché à peu près à la quatorzième minute.

19.5.10

Six:


Le nombre de versions du roman à date, dont trois dans les quarante derniers jours.

Je le vois comme une immersion intensive. Be the novel.

En parallèle, c'est bizarre, je n'arrive pas à lire quoi que ce soit d'autre. Je deviens carrément paranoïaque. Quand je tombe sur un passage que j'aime, je me dis: "Oh my shit, j'aurais tellement dû écrire quelque chose comme ça, à la place! Il est peut-être pas trop tard! Non, non, c'est de la marde. Moi, j'suis une marde. Ahh." Et quand je tombe sur un passage que je trouve vraiment poche, je me dis: "Man! Il faut pas écrire comme ça. Fuck! Il est peut-être trop tard! Non, non, c'est de la marde. Moi, j'suis pas une marde. Euh, en fait, j'suis une pas pire marde, oui. Ahh."

15.5.10

Cannes.

(Le clavier francais et moi, ça fait deux.)

Cannes pue la guédaille et l’huile de bronzage. Je trouve un peu obscène toute cette abondance, les gros bateaux de millionnaires, les petits caniches teints en rose et en bleu, les cigares, le botox... et le catalogue de la Quinzaine qui se vend à 10 euros. Marde.

J’ai croisé ma premiere vedette à Cannes : Suzanne Clément (Les hauts et les bas de Sophie Paquin). Hum. Je garde l’œil ouvert.

Le pilote d’Air France a annoncé le score de la finale Canadiens-Penguins en atterissant à Paris jeudi matin. Applaudissements, cris de joie. P’tit frisson nationaliste.

J’ai vu Les amours imaginaires, le dernier film de Xavier Dolan, dans une salle de 860 places pleine a craquer. J’ai pas mal plus ri que mon voisin, qui ne comprenait rien à l’accent (le film était sous-titré en anglais seulement) et qui est parti au milieu de la représentation. Nouveau petit frisson nationaliste en entendant un personnage évoquer le métro Henri-Bourassa.

Je n'ai pas encore d'anecdote de monsieur qui se lave la zoune à raconter. Je garde l'oeil ouvert.

Holden Caulfield et les Antidépresseurs*


J'ai commencé la lecture de Cinq semaines en ballon, de Jules Verne, cette semaine. C'est la deuxième fois que je le lis - la première, c'était, comme pas mal tout le monde, entre la fin du primaire et le début du secondaire. Et je suis tombé sur un passage où les explorateurs vont à la chasse et reviennent pour trouver leur ballon pris d'assaut par ce qu'ils nomment d'abord des Nègres. L'un d'eux prépare alors sa carabine et tire un coup vers les assaillants. Ils s'aperçoivent alors que ce ne sont pas des Nègres mais bien des singes. J'imaginai le lectorat de Verne de l'époque glousser en lisant le passage. Je me demandai aussi quelle part d'ironie pouvait-on lire dans ce discours incroyablement raciste - je veux dire, Verne s'inscrit d'emblée, dans le roman, comme ayant une posture plutôt humoristique, alors rien n'empêche de croire que cette confusion Nègre/singe ne soit pas placée là ironiquement, comme pour souligner le racisme des personnages. Bof, rendu là, je crois que toutes les interprétations s'équivalent. J'étais dans le métro, on arrivait à Henri-Bourassa quand j'ai lu ces lignes, et en rentrant, j'ai replacé le livre dans ma bibliothèque. On dirait que je ne voulais pas me bâdrer à constamment questionner le fondement moral, en fonction de l'époque de Verne et de la mienne, des observations.

C'est un drôle de dilemme: est-ce l'oeuvre qui a mal vieilli ou est-ce que je prends trop de place, avec ma moralité, mes intérêts, ma pensée, quand je lis l'oeuvre?

Le lendemain, j'ai trouvé par hasard un petit reportage radio entendu sur le web au sujet du nouveau rapport aux personnages de roman chez les jeunes générations d'universitaires. Le topo m'a semblé ben d'adon:





*Parlant de noms de band.

11.5.10

Resserrement (pause d'écriture)

Après quelques heures d'écriture, de rédaction ou de ce que tu voudras, tu te lèves parce que la chaise a fini de prendre la forme de ton cul et c'est maintenant ton cul qui prend la forme de la chaise, et tu grooves sur du bon funk texan qui te répète la consigne principale qui devrait te servir de mantra durant ton travail: tighten' up. Tu pourrais en faire un jeu: chaque fois que ton éditrice te suggère de "resserrer un peu" ton écriture, tu te lèves et pendant trois minutes tu "resserres" à la manière d'Archie Bell & The Drells. But don't you get too tight.

(à écouter fort dans le système de son)


7.5.10

Deuxième de couverture no 14: The Recognitions (Gaddis)


Le foisonnement, l’incertitude, le chaos langagier, ça me gêne même d’en parler, tant ces concepts ressemblent à autant de passages obligés des textes critiques au sujet de l’œuvre de William Gaddis. Je pourrais aussi parler de la densité narrative, des multiples croisements dialogiques, de l’impossibilité de lire The Recognitions, son premier roman publié en 1955, sans se perdre au moins une fois dans les dédales du récit. Je me contenterai d’abord d’affirmer qu’il faut lire Gaddis. Au même titre qu’il faut lire Hemingway, Faulkner, Twain et, qui donc, Stein (oui oui, Kerouac aussi), il faut lire Gaddis ne serait-ce que pour voir où peut mener l’obsession (toute américaine) pour la voix en littérature.

En lisant The Recognitions (Les reconnaissances chez Gallimard, je crois), je me suis mis à penser au cours d’histoire de l’art que j’ai suivi au bacc. qui nous proposait d’observer comment, au tournant du vingtième siècle, New York vola l’idée d’art moderne. C’est d’ailleurs le titre d’un livre dans le corpus du cours : l’auteur y observait comment New York a supplanté Paris comme capitale mondiale de l’art moderne. Plus globalement, les artistes peintres américains (les expressionnistes-abstraits en étant les plus connus – Pollock, Rothko, de Kooning, etc. – on pourrait parler aussi de Stuart Davis, dont une oeuvre a été choisie pour la couverture de mon édition des Recognitions) ont envahi le marché avec des gros formats, de la densité, du what you see is what you get.

Dans une espèce de tour de force narratif, Gaddis fait se déplacer tout un groupe d’expatriés américains de Paris à New York. Ce n’est jamais précisé : on ne lit jamais un truc comme « ils sont à Paris » puis « les voilà maintenant à New York ». Seulement le rythme, l’atmosphère, les descriptions, et surtout le langage que Gaddis reproduit à la manière d’un « macrophone », capable d’enregistrer et de sélectionner des passages de discussions afin d’en former un véritable discours ambiant : tous ces éléments nous convainquent qu’on n’est plus en Europe, mais bien dans le foisonnement bruyant des grandes villes américaine - à New York, de surcroît. Dans la perspective de la mouvance artistique décrite plus haut, ce déplacement narratif a de quoi faire réfléchir.

Quand des amis, de la famille ou des collègues me demandaient ce que je lisais – parce que les quelques 950 pages du roman en font un livre qu’on traîne partout, un peu malgré soi, si on veut en venir à bout – je me suis toujours empressé de résumer l’intrigue à un synopsis plus ou moins banal : « C’est l’histoire d’un peintre qui fait des contrefaçons si parfaites qu’on en vient à ne plus distinguer le vrai du faux. » Pourtant – encore là je tombe dans le cliché du texte sur Gaddis – c’est tellement plus que ça. En fait, je ne suis même pas sûr à quel point c’est vraiment ça.

J’ai déjà parlé de l’évolution du rapport au réel dans l’après-guerre (l’après-Hiroshima, devrais-je peut-être dire). Pour une quantité d’auteurs, le réel n’est plus perçu comme étant phénoménal: il est verbal.* Peut-être que le texte de Bill Gaddis cherche à en faire la preuve : rien n’est offert au lecteur qui ne passe pas d’abord par un processus discursif sinueux, soit via l’échange de répliques dans un party, soit via la description inquiétante de ce que perçoit un personnage. C'est sans doute pourquoi j'ai préféré remplacer la citation en exergue habituelle par un tableau de Davis, ne sachant tout simplement pas quoi choisir parmi mes nombreux coins de pages pliés.



*C’est le théoricien John Kuehl qui le dit.

3.5.10

Dvě kavárny, prosìm

Pour se donner encore un petit peu plus envie de Prague, ville de café et de bière.





Art Nouveau Café, Café Kafka, Café Frà

"Faith For Faith's Sake"


Coban, Guatemala
19 septembre 2008


Je n'avais aucune idée de la richesse potentielle d'un lobby d'hôtel. Celui de la Casa d'Acuna donne sur la terrasse d'un restaurant plutôt huppé contrastant quelque peu avec le niveau de vie qu'impliquent les chambres louées ici. Alors qu'Anne faisait sa sieste quotidienne - le rythme au Guatemala est résolument chill -, j'ai eu droit dans le salon du lobby à une discussion des plus divertissante sur la foi chrétienne et son rapport à toute autre croyance. La conversation avait lieu dans la pièce voisine, et le niveau de langage, les tournures intellectualisantes-gauchisantes des quatre touristes américains dans ce que je devinais être la cinquantaine (un mur nous séparant, je ne les voyais pas) me donnaient l'impression d'entendre quelques lignes d'un scénario de film de Robert Altman. Ce plan d'ensemble - la discussion derrière le mur, vers la droite; la musique jazz émergeant de la terrasse, vers la gauche; les rires et les bruits habituels du fond d'un restaurant; la pluie soudaine sur la cour intérieure; cet homme assis devant moi feuilletant le Pensa Libre - tout ça me rappelle le cinéma d'Altman. Ou bien je pense à Raymond Carver et son univers. Les deux artistes excellent dans l'art de la conversation, nous plaçant toujours dans la position de l'observateur passif, on devient une sorte de microphone plus ou moins objectif.

Ici, les gens s'interrogent sur la pertinence du baptême. Du moins, c'est où ils en sont quand j'arrive dans la pièce voisine pour me replonger dans L'élégance du hérisson, un livre assez "dialogique" en soi. Après quelques minutes, on en est à questionner le créationnisme:

- If He was so almighty, why did He need a day to rest?
- He didn't need a day to rest, He decided to rest.

Si je me fie aux voix, la femme qui parle du nez avec un léger accent du sud est la plus croyante de tous les quatre. Elle parle de Dieu comme d'un coach qu'on défendrait devant des coéquipiers frustrés ou sceptiques. Un des hommes a une voix très grasse, un peu rauque, laissant deviner un surplus de poids - les mots semblent lui sortir de la bouche comme de la pâte à dent sort d'un tube - et il semble être le modérateur du groupe, remerciant ses amis d'avoir l'ouverture d'esprit permettant une telle discussion. Les deux autres, un homme et une femme, alimentent l'échange avec leur spiritualité laïque quelconque.

Tout à coup, le Lac des cygnes remplace le jazz et traverse la terrasse. Comme un souffle mystique balayant les âmes, le ton animé de la discussion diminue drastiquement, les camps se confondent et on atteint presque un silence consensuel. Puis, la reprise d'une musique moins grandiose - une balade française des années 1930 ou 1940 - laisse croire qu'ils ont tout simplement repris leur souffle.

- So you're saying there is no spirituality without the Bible?
- No, that's not what I'm saying.

Je trouve tout ça très intéressant, certes, mais je ne peux m'empêcher de penser que cette même conversation m'aurait semblé tellement insupportable si j'avais été assis à la table voisine. Le mur nous séparant me permet le détachement du voyeur - du voyageur, devrais-je dire. Je suis The Man of the Crowd de Poe, suivant à distance un homme mystérieux qui m'échappe constamment à travers les ruelles d'une ville inconnue.

C'est sublime. C'est le voyage!

1.5.10

Mon bikini, ma brosse à dents.

Dans 11 jours, ce sera mon tour.
Dans 11 jours, ce sera mon tour.
Dans 11 jours, ce sera mon tour.
Rien d'autre à dire. Mon cerveau est anesthésié par la fin de session, les lectures, les articles à retravailler, les corrections de travaux de bac, le plan du mémoire, l'échographie, décrire ma méthodologie de travail (vraiment, maintenant?), la réunion avec la directrice, le foetus à inscrire en CPE (Bébé, tu n'as pas de poumons, mais tu auras une éducatrice), les trucs de dernière minute à acheter, le frigo à vider.
Mais la mer, la mer.